Photos: A Swiss With A Pulse
Le Tessin, le canton italophone et le plus méridional de la Suisse, fait partie de ma vie de cycliste depuis que j’accrochais mes premiers dossards. Mon lien avec cette région remonte aux années 1990, quand j’étais coureur amateur et que je cherchais à arriver en forme de l’autre côté des Alpes. À l’époque, tandis que l’hiver nous enveloppait encore au nord, le Tessin baignait déjà dans le soleil. Le GP Lugano, le Gran Premio di Chiasso et le Giro del Lago Maggiore rimaient avec lumière, chaleur… et jambes douloureuses à force de suivre les locaux qui s’étaient entraînés tout l’hiver dans un climat clément.
Quelques sensations me ramènent encore instantanément à ces jours-là : l’odeur d’un vrai espresso s’échappant d’un minuscule bar dans un village tranquille ; le son de l’italien parlé avec cet accent tessinois si particulier ; la lumière douce du matin sur les palmiers. Ces détails font partie de l’identité du Tessin autant que ses montagnes et ses lacs. Au fil des ans, j’y suis revenu régulièrement — parfois pour faire des courses, souvent juste pour rouler. Mais ce n’est que bien plus tard que j’ai véritablement découvert le côté sauvage de la région.
Ce moment est arrivé avec Dead Ends e Dolci : un événement décontracté, accueillant et légèrement excentrique, devenu presque mythique dans la communauté internationale du bikepacking grâce à son esprit d’aventure et son culte… des culs-de-sac. J’ai participé aux deux premières éditions, et ces expériences ont transformé ma vision du Tessin. L’événement ne se veut pas compétitif même si, techniquement, j’ai terminé dernier une année… mais ça, ce sera le sujet d’un autre article.
Ce que Dead Ends e Dolci fait le mieux, c’est vous pousser à l’exploration : au cœur de recoins isolés, de routes oubliées et de vallées en cul-de-sac. Qui, finalement, ne le sont peut-être pas tant que ça – surtout si vous aimez marcher avec votre vélo pour découvrir ce qui se cache de l’autre côté.

Un souvenir en particulier m’est resté : l’ultime montée vers la Capanna Gesero le dernier jour. J’étais fatigué, affamé, et sans doute parmi les derniers encore sur le parcours. Après une longue ascension sur l’asphalte, la route a laissé place à un sentier, et bientôt je poussais mon vélo. Arriver à la cabane juste avant le coucher du soleil, accueilli par un bol de soupe fumante servi par le gardien, m’a valu une sensation difficile à décrire : un mélange de soulagement, de fierté et d’émerveillement. Ce sont ces moments qui restent gravés.
Pourquoi ai-je attendu si longtemps ?
Dead Ends e Dolci m’a ouvert des dizaines de portes. J’ai continué à découvrir de nouvelles routes, de nouvelles vallées, de nouveaux cols que je n’avais jamais explorés malgré toutes mes années à venir à Ticino. À chaque fois, je me demandais : pourquoi ai-je attendu si longtemps pour découvrir ce visage caché du Tessin ?
Finalement, cette curiosité est devenue quelque chose de plus grand : le désir de rassembler tous ces fragments. De créer mon propre itinéraire. Pas une course, pas un défi — un véritable voyage. Un parcours qui relierait les coins les plus sauvages et significatifs de cet autre Tessin en une seule ligne, que je pourrais partager avec le monde.

Alors, quand komoot et Ticino Turismo m’ont donné carte blanche pour créer un itinéraire gravel de plusieurs jours dans le nord de la région et partager cette expérience, j’ai su exactement ce que je voulais faire. J’ai contacté Stefano Bergamaschi, expert local et l’un des cerveaux derrière Dead Ends e Dolci. Stefano connaît chaque piste, chaque sentier muletier abandonné, chaque col caché et chaque groupe de maisons en pierre dans ces montagnes : l’écouter, c’est comme télécharger directement la connaissance locale dans vos jambes. Et si vous cherchez un guide, Stefano et sa société BikePort sont là pour vous.
Avec son aide précieuse, j’ai commencé à ébaucher des idées. Une liaison ici, un détour là. Un col dont je n’avais jamais entendu parler (le Passo dell’Uomo ? Mais où se cachait-il ?). Un petit sentier reliant deux vallées de manière à la fois secrète et évidente. Puis, un jour, en regardant le plan final sur la carte, j’ai vu la ligne : une trace ininterrompue entre Airolo et Bellinzona. Simple, élégante, reliant des lieux que je connaissais et d’autres que je n’avais vus que dans mes rêves. C’est à ce moment-là que j’ai pensé : ça va être quelque chose de vraiment spécial.

Du chaos à la sérénité
Mais les itinéraires ne prennent vie que lorsqu’on les parcourt. J’ai donc appelé mon amie Kaddy, et nous nous sommes lancés sur trois jours pour tester le parcours. Et, en fait… le départ ne s’est pas fait sans encombre. Kaddy a failli ne jamais arriver à Airolo : un train en retard à Zürich (rare en Suisse), une correspondance manquée entraînant la perte du dernier train, un sauvetage combinant train et bus… et enfin, une arrivée après 1 h du matin. Heureusement, les formidables gens de l’Hôtel Forni avaient gardé une assiette pour elle.
Quelques heures de sommeil plus tard, elle avait troqué ses habits de bureau pour sa tenue de bikepacking, et nous avons quitté Airolo. À partir de là, l’aventure s’est déroulée exactement comme je l’espérais, et souvent bien mieux encore. Nous avons commencé par l’ascension de la légendaire Tremola, serpentant sur ses pavés emblématiques. Un terrain que je connais bien ; je dois avoir des centaines de photos de cette montée dans mes archives. Et pourtant, d’une manière ou d’une autre, j’ai encore trouvé des angles que je n’avais jamais essayés auparavant.

Au sommet, nous avons profité du joyeux chaos des voitures, des motos et des touristes qui démabulaient. L’odeur des saucisses grillées flottait dans l’air, nous avons pris quelques photos à peu près correctes, puis nous avons mis le cap sur le Passo Scimfuss (en avez-vous déjà entendu parler ?). En un instant, nous avons laissé la civilisation derrière nous. Le plus souvent sur des sentiers isolés en altitude – sauvages et pourtant paisibles. Pendant trois jours, nous sommes passés de vallée en vallée, pris des centaines (des milliers ?) de photos et secoué notre carcasse sur des descentes rocailleuses. Avec, de temps en temps, quelques sections de portage pour nous forcer à ralentir suffisamment et profiter de l’instant.
Si la trace était fantastique, certains des meilleurs moments se sont souvent produits une fois descendus du vélo. L’une de mes anecdotes favorites a eu lieu à la Capanna Adula. Lors de Dead Ends e Dolci, c’était un checkpoint et j’avais toujours pensé : un jour, je reviendrai. Dormir ici, prendre le temps, ressentir l’atmosphère au coucher et au lever du soleil. Et c’est exactement ce que nous avons fait.

La vie en cabane
Nous sommes arrivés en fin d’après-midi, avons bu une bière sur la terrasse tandis que le soleil descendait vers l’horizon, puis nous pris nos quartiers dans notre dortoir. Ce soir-là, Kaddy et moi avons partagé la table du dîner avec un groupe d’alpinistes suisses alémaniques. Rien d’extraordinaire ne s’est produit, et c’est justement ce qui a rendu ce moment mémorable. La conversation s’est déroulée en français, en allemand et en anglais. Nous avons ri, les pizzoccheri étaient délicieux, et l’atmosphère avait cette chaleur rare que seuls les refuges de montagne savent créer : une communauté éphémère née par hasard. Alors que la lumière baissait et que les montagnes disparaissaient dans la nuit, je me suis dit : voilà. C’est pour ces moents-là que nous faisons ça.
Le tronçon le plus ardu de l’itinéraire fut l’ascension vers la Capanna Gesero : près de 1 700 mètres de dénivelé, pour la plupart en pleine forêt. Un effort long et implacable qui m’a fait régulièrement questionner mes choix. Mais quand nous avons enfin émergé du tunnel qui conduit à l’Alpe di Cadinello et que tout le paysage s’est ouvert devant nous, tous les doutes se sont dissipés. Des vues comme celle-ci frappent encore plus après deux heures de montée. Et oui, la descente finale vers Bellinzona, à la lumière de nos phares, en valait absolument la peine. J’ai peut-être laissé échapper quelques « woohoo ! » enthousiastes en essayant de suivre Kaddy sans griller mes plaquettes de freins.

Il y aurait encore tellement de moments mémorables à raconter de ce voyage, mais je vais m’arrêter là. L’essentiel, c’est que ces trois jours avec Kaddy m’ont apporté exactement ce dont j’avais besoin : clarté, sérénité et une parenthèse loin du bruit du quotidien. La simplicité de la routine est apaisante : rouler, manger, rire, dormir, recommencer. Il ne s’agit ni d’aller vite, ni d’aller loin – mais d’être pleinement présent.
L’itinéraire
Si vous voulez en savoir plus sur notre parcours, vous trouverez ici une description détaillée, des photos, des cartes, des fichiers GPX ainsi que des conseils sur le matériel, la logistique et la meilleure période pour le réaliser.
Et si un jour vous décidez de le parcourir, j’espère que vous y trouverez le même sentiment de paix, de clarté et de simplicité que nous avons vécu là-haut, au-dessus du Tessin – entre les Alpes et la douceur du sud.
Alain
Remerciements spéciaux à Ticino Turismo et komoot pour avoir soutenu ce voyage si particulier. Et afin de vous offrir, vous aussi, un avant-goût de cette lumière du sud et de l’art de vivre tessinois, Ticino Turismo met à disposition un magnifique séjour à gagner!
Gagnez 3 nuits pour 2 au Bike-Hôtel La Perla
Situé à Sant’Antonino près de Bellinzone, l’hôtel La Perla*** offre un accueil chaleureux aux cyclistes : chambres confortables, local vélo sécurisé, atelier et espace de lavage, piscine extérieure et un restaurant axé sur les produits du terroir.
Pour participer, il vous suffit de remplir le formulaire ci-dessous.

Alain Rumpf
Cycliste passionné depuis plus de 35 ans, Alain Rumpf est bien connu sur les réseaux sociaux grâce à son compte « A Swiss with a Pulse » qui compte plus de 13’000 followers.
Dans une précédente vie, il a été coureur cycliste Elite et a travaillé 20 ans pour l’Union Cycliste Internationale. En 2014, il décide de quitter le confort d’un bureau pour devenir guide, photographe, rédacteur et consultant. Il collabore avec Suisse Tourisme, Haute Route, Scott, Apidura, Alpes Vaudoises, komoot, Vélo Magazine, le Tour des Stations et bien d’autres. Il dirige le site Switchback, un guide du vélo de route et du gravel dans les Alpes et au-delà. Découvrez tous ses articles sur cycliste.ch.





