Comment devenir un influenceur (que j’aurai du plaisir à suivre)

Verbier

Le journal Le Temps a récemment publié un article sur les influenceurs cyclistes. Il est intéressant de voir un quotidien généraliste s’intéresser à un tel sujet de niche et l’auteur, Florian Delafoi, a fait un excellent travail. Et je ne dis pas ça parce que j’ai eu la chance d’y être interviewé. J’ai appris quelque chose et cela m’a fait réfléchir. Du bon journalisme, en somme.

Dans l’article, je déclare que les influenceurs sont « un phénomène commercial qui contribue à niveler les réseaux sociaux par le bas avec du contenu standardisé ». Le ton est désabusé et je n’ai pas aimé ça lorsque j’ai lu le papier. Après tout, je fais partie de ce « phénomène ». Je suis régulièrement contacté par des sociétés qui aimeraient que je présente leurs produits à mon audience. Et les quelques marques qui me soutiennent dans mon activité de guide, de photographe et de rédacteur attendent de moi que je fasse leur promotion d’une manière ou d’une autre.

Je comprends également que les marques souhaitent consacrer une partie de leur budget marketing à des personnes ordinaires plutôt qu’à des athlètes de classe mondiale. Nous sommes tous plus susceptibles d’acheter un produit parce qu’une personne à laquelle nous pouvons nous identifier l’utilise, plutôt qu’une star payée des millions pour l’endosser.

Pourtant, je me sens souvent mal à l’aise. Comment faire mon job? Comment rester authentique tout en remplissant mon contrat, en fournissant le service attendu par la marque qui me soutient ?

Pour transformer mon cynisme en quelque chose de plus constructif dont je pourrais tirer des enseignements, je me suis demandé : qu’est-ce que j’aime voir sur mon flux Instagram ? Qu’est-ce qui m’inspire ? J’ai également regardé ce que font certains grands influenceurs cyclistes et j’ai essayé de comprendre ce qui me plaisait, et ce qui ne me plaisait pas.

Le résultat : le tableau ci-dessous, qui compare le flux de mes rêves avec le contenu qui me débecte.

Ce qui m'inspireCe qui me repousse
Des lacets, des montagnes, des pavés, du gravel, des collines à l'infini.
Tout ce qui me ferait hurler : "où est cet endroit ? Je veux quitter mon écran et y aller MAINTENANT."
Un cycliste sur une "route" où il serait tellement plus fun de faire du VTT / du ski / de la marche / de l'alpinisme.
Une bonne histoire (oui, je lis les légendes).
Exemple : quelque chose qui s'est réellement passé pendant votre sortie. Si c'est drôle, c'est encore mieux
Elle peut aussi être triste, car nous avons tous de mauvais jours et c'est OK.
De la pub continuelle et flagrante pour des marques.
Des hashtags stupides (#mondaymotivation)
Des questions futiles (quelle est votre séance d'entraînement préférée ? Où avez-vous roulé ce week-end ?
Une bonne photo d'un beau vélo avec une bonne légende pour promouvoir la marque.Des tas de photos de vélo sur un fond de mur, de neige, de bois ou de coucher de soleil.
Une bonne photo d'une tenue / d'un casque / d'une paire de lunettes avec une bonne légende pour promouvoir la marque.Des tas de photos médiocres de tenues / casques / lunettes de soleil, comme si elles étaient là par hasard.
Un café, un gâteau, une bière et de temps en temps une barre énergétique avec un logo.Des tas de photos de barres énergétiques dans une main / une poche / une bouche. Ça me rappelles ces super longues sorties où je ne pouvais plus penser à une barre sans avoir envie de vomir.
Des cyclistes qui se sourient.Un(e) cycliste qui ferme son maillot avec une mine super sérieuse.
De temps en temps, une photo qui montre qu'on peut avoir chaud/froid/faim/soif/mal partout sur un vélo (avec une légende drôle).Un flux qui prétend que le vélo est une souffrance permanente et que vous êtes un super héro : pluie, neige, froid, montées raides...
Des photos éditées avec goût pour mettre en valeur le sujet.Le même filtre irréaliste sur chaque photo (mais pourquoi la route est orange sale sur toutes les photos de ce type?).
Des yeux.Des lunettes de soleil envahissantes sur chaque photo.
Un flux qui montre que vous aimez avant tout rouler à vélo et que partager cette expérience est secondaire.Un flux qui montre que vous êtes amoureux de vous-même, de vos sponsors et que rouler à vélo est secondaire.
Un corps humain en entier sur un vélo.Des selfies et des gros plans de mollets / cuisses / fesses / poitrines.
Descendre assis sur votre selle.Descendre assis sur votre cadre. Pensez ce que vous voulez de l'UCI, être un influenceur cela veut dire influencer les gens et ce comportement ne doit pas être encouragé.
Une vraie conversation entre cyclistes passionnés dans les commentaires.Des félicitations mièvres entre influenceurs dans les commentaires (Great shot! Keep it up and and ride on! 💪👏🤩🚴🏻‍♀️).
Une photo inspirante avec 100 likes.Une photo nulle avec 2000 likes.
Des gens qui roulent à vélo et communiquent, comme dans la vraie vie.Le même cycliste sérieux couvert de logo (vous), qui roule tout le temps tout seul.
Votre histoire.L'histoire de la marque.
Pas de post.Des vieilles photos postées parce que vous n'aviez rien d'autre à partager (par exemple "vivement l'été" au milieu de janvier).
Rouler dehors.Rouler sur un home trainer.

Pour résumer : Je veux voir de vraies personnes faire du vélo dans des endroits magnifiques sur mon flux, et je suis heureux pour elles s’ils ont des partenaires qui les soutiennent pour le faire. Je veux aussi lire des histoires comme vous les raconteriez à votre meilleur ami, en face à face. Pas des fausses histoires que vous balancez d’un ton artificiel au monde entier, caché derrière votre écran.

Rappelez-vous : les gens regardent du contenu vélo en ligne parce qu’ils veulent être inspirés, s’éloigner de la routine quotidienne. Pas pour voir des logos et des personnes sérieuses imbues d’elles-mêmes. De même, les marques vous soutiendront pour votre capacité unique à inciter les gens à monter sur leur vélo. Pas pour jeter des produits et votre corps d’athlète à la figure de vos followers.

Cette citation d’Andy Waterman, un cadre d’une société de course à pied, dans un article sur Pinkbike, en dit long : « Il est évident que nous voulons accroître notre part du gâteau dans l’industrie de la course à pied, mais il est également important d’accroître le gâteau dans son ensemble. Si plus de gens se sentent en confiance de dire « je suis un coureur à pied », c’est bon pour eux, pour nous et pour le sport en général. »

En regardant mon propre flux, je réalise que je ne suis pas toujours mes conseils avisés. Parfois, je m’étrangle. « A quoi je pensais quand j’ai posté ce selfie minable avec un horrible logo? ». Et ce n’est pas grave, nous apprenons tous. Nous sommes de vraies personnes.

Alain Rumpf A Swiss with a Pulse

Alain Rumpf

Cycliste passionné depuis plus de 35 ans, Alain Rumpf est bien connu sur les réseaux sociaux grâce à son compte « A Swiss with a Pulse » qui compte plus de 13’000 followers.

Dans une précédente vie, il a été coureur cycliste Elite et a travaillé 20 ans pour l’Union Cycliste Internationale. En 2014, il décide de quitter le confort d’un bureau pour devenir guide, photographe, rédacteur et consultant. Il collabore avec Suisse Tourisme, Haute Route, Scott, Apidura, Alpes Vaudoises, Strava, Vélo Magazine, Chasing Cancellara et bien d’autres. Il dirige le site Switchback, un guide du vélo de route et du gravel dans les Alpes et au-delà. Découvrez ses projets sur son site www.aswisswithapulse.com et tous ses articles sur cycliste.ch.