A vous le relais : Andrea Marcellini

Née au Brésil, Andrea Marcellini a vite acquis un goût prononcé pour le sport. Après avoir débuté par le ballet, un sport perçu comme plus « féminin » dans son pays natal, elle échange ses pointes pour un vélo tout terrain à l’âge de 14 ans et s’est depuis investie dans de nombreux projets autour du cyclisme et construit sa vie autour de ce dernier… allant même jusqu’à se marier avec un ancien champion du monde de VTT, l’helvétique Christoph Sauser.

Andrea, comment en est-tu arrivée à la pratique du VTT qui était à l’époque encore très peu pratiqué au Brésil et encore moins par des filles ?

J’ai grandi dans une vallée de l’Etat du Minas Gerais au Brésil. Mon passe-temps préféré était  alors de monter et descendre les sentiers de montagne près de chez moi. Lorsque j’avais huit ans, ma famille a quitté Itabirito, qui était une petite ville, pour aller s’installer à Belo Horizonte, la capitale du Minas Gerais où j’ai habité jusqu’à ce que je vienne en Suisse en 2009. Les montagnes et les forêts de mon enfance m’y manquaient énormément jusqu’à ce que je découvre le VTT en 1994 au travers d’amis du collège.

J’étais alors la seule fille de ma classe mais cela ne m’a jamais dérangée. Pour être sincère, je n’y avais jamais vraiment réfléchi jusqu’à ce que je débute la compétition. C’est à cette époque que j’ai laissé tomber la danse classique pour me dédier au VTT. Lors des compétitions, je n’avais souvent pas d’autre choix que de courir avec les garçons cadets ou juniors car il n’y avait pas assez de féminines pour former une catégorie. C’est alors que j’ai compris que courir contre des garçons était différent de m’entraîner ou de simplement rouler avec ceux de ma classe. C’est à ce moment-là, alors âgée de 18 ans, que l’envie m’est venue d’attirer d’autres filles dans cette discipline et de partager avec elles toute la liberté et joie que ce sport peut apporter.

© @deiamarcellini

Penses-tu avoir eu davantage à te battre pour être acceptée au sein des pelotons car tu étais une fille et as-tu constaté des changements au fil des années ou encore entre la Suisse et le Brésil ?

Il était tellement rare de rencontrer une athlète féminine de VTT au Brésil dans les années 90 que je ne me suis jamais sentie questionnée ou exclue. Au contraire : avec le recul je réalise que malgré le fait de n’avoir jamais pu bénéficier d’une grande structure pour m’encadrer dans la pratique de la discipline, j’ai toujours été aidée et encouragée. Mon père et certains de ses amis sont des personnes envers lesquelles je serais éternellement reconnaissante pour m’avoir poussée à suivre ce chemin. J’ai vite réalisé qu’il était alors de mon devoir de faire de même pour les autres femmes.

Cela peut sembler absurde mais le cyclisme renvoie encore une image masculine. Depuis les années 90, des changements drastiques se sont opérés, mais il y a encore un long chemin à parcourir jusqu’à ce que l’égalité soit atteinte. Il nous faut des « role models » – des femmes dont nous puissions nous inspirer, en plus de nombreux autres facteurs dans la structure de ce sport, pour que le nombre de femmes le pratiquant continue de grandir.

Au début des années 2000, suite à ma formation de journaliste, j’ai commencé à alimenter une chronique dédiée aux femmes dans le magazine Bike Action, aujourd’hui encore la plus grande revue de cyclisme au Brésil. Dès lors, j’ai aussi pris l’initiative d’organiser des événements et camps d’entraînements uniquement dédiés aux femmes.

Ce n’est qu’après mon arrivée en Suisse que j’ai été introduite au cyclisme sur route. Je m’étais toujours imaginée que le nombre de femmes cyclistes en Europe serait bien supérieur à celui du Brésil. J’ai été très surprise de constater que ce n’était de loin pas le cas. J’ai eu beaucoup de peine à trouver des groupes avec qui rouler et m’entraîner lors de mes premières années en Suisse et j’ai vite compris que j’aurais, dans ce nouveau pays aussi, beaucoup de travail à entreprendre si je voulais changer les choses !

© @deiamarcellini

Ton parcours professionnel est plus qu’intéressant. Après avoir quitté le Brésil en 2009 pour venir effectuer un MAS en administration du sport à l’AISTS, tu as pu trouver un emploi au sein même de l’UCI. Quel était concrètement ton rôle en tant que coordinatrice du cyclisme féminin et quels projets as-tu pu mettre en place ? Penses-tu que la situation du peloton professionnel féminin s’est beaucoup amélioré depuis ?

Coordonner le cyclisme féminin au sein de l’UCI fût une tâche bien diversifiée. Pour résumer, j’ai commencé par élaborer une stratégie à court et moyen terme visant le développement du cyclisme sur route professionnel. Pendant près d’une année, j’ai sondé et interviewé toutes les personnes concernées (athlètes, équipes, organisateurs de courses, médias, sponsors, entraîneurs, fédérations nationales, etc…) et cherché à comprendre les numéros et budgets me permettant de mettre en place une stratégie qui tiendrait compte des différents points de vue et qui serait réellement bénéfique pour le sport.

Ce ne fût pas simple car souvent ces points de vue se contredisaient et par ailleurs beaucoup de méthodes permettraient d’atteindre de bons résultats. Finalement, avec le soutient de la première Commission de Cyclisme Féminin mise en place par l’UCI en 2014, il fût décidé d’alimenter la croissance du cyclisme féminin en investissant et en structurant sa couverture médiatique. Nous avons collaboré avec les organisateurs des courses afin de mettre en place un cadre minimum de couverture par les médias et les réseaux sociaux et avons investi dans la transmission télévisée des compétitions féminines.

Notre but, en misant dans la visibilité de la discipline, était alors d’attirer des sponsors et des compétitions de plus haut niveau et par conséquence, de meilleures conditions pour les athlètes. 

En effet, les statistiques de ces dernières années reflètent nos efforts, ce qui a pour effet d’attirer un plus grand nombre de participantes.

Pour ma part, ce qui fût toujours important tout au long du processus, fût la consultation et la prise en compte des avis des intéressés, car pour autant que je veuille le meilleur pour le sport, à moi seule je ne pourrais jamais trouver les réponses à toutes les questions !

Tu as eu la chance de repartir au Brésil en 2016 pour les Jeux Olympiques où tu étais responsable  de l’organisation des épreuves de piste. Quels souvenirs gardes-tu de cette expérience ?

Ce fût l’une des meilleures expériences de ma vie ! Les 9 mois pendant lesquels j’ai travaillé à Rio furent intenses. Je m’y attendais lorsque j’ai accepté l’opportunité qui m’était donnée de gérer la mise en place du Vélodrome Olympique de Rio, qui par ailleurs n’en était qu’à sa phase initiale de construction et bien en retard, quand je me suis jointe au comité organisateur !

J’ai eu la chance de travailler avec une équipe incroyablement motivée et compétente avec qui j’ai beaucoup appris mais également partagé nombreuses des compétences acquises lors de mes six années passées au sein de l’UCI. Si je dis que ces 9 mois furent intenses c’est parce que mes horaires de travail, si on peut appeler cela des horaires, s’étalaient de 9 heures du matin à 9 heures du soir et ça, lorsqu’il s’agissait d’une journée tranquille ! Dès le mois de Mai je n’ai plus pu bénéficier de week-ends ou de jours de repos et je dû même, à de nombreuses reprises, passer la nuit en compagnie des équipes qui s’occupaient de l’installation de l’équipement ou de la finalisation des travaux dans le vélodrome.

© @deiamarcellini

Ce fut mentalement et physiquement épuisant, mais au même temps, réellement satisfaisant de pouvoir ouvrir les portes du vélodrome au public et aux athlètes en sachant que nous avions fait tout ce qui était dans nos moyens pour que tout soit prêt ce jour-là.

Tous ceux qui sont passés au vélodrome ont pu sentir son atmosphère électrisante, de quoi en donner la chair de poule ! De nombreux records y ont été battus, de nombreuses médailles y ont été remportées, de nombreux rêves réalisés et pour ceux qui comme moi y ont contribué, ce qui reste, c’est une immense fierté d’avoir fait partie de tout cela. La fatigue, les problèmes et le stress, eux, sont vite oubliés.

© @deiamarcellini

De retour en Suisse et occupant dorénavant un poste de manager à l’AISTS, tu gardes inévitablement un pied bien ancré dans le vélo suite à ton mariage avec Christoph. Racontes-nous un peu comment se passe une journée typique chez les Sauser. Le cyclisme est-il toujours aussi présent dans votre vie suite à sa retraite et surtout à la naissance de votre petit garçon ?

Une journée dans la vie de la famille Sauser… Nous avons 9 vélos dans notre garage – le vrai défi consiste à trouver un moment pour tous les utiliser. Mais on fait de notre mieux ! A moins qu’il n’y ait de la neige par terre, je trouve toujours un moment pour pédaler : que cela soit en allant ou en revenant du travail à Lausanne, en me promenant avec notre Tiago dans la remorque à l’arrière du vélo, seule ou encore avec un groupes d’amis.

Christoph part travailler dans son entreprise de torréfaction de café à Leysin tous les matins de bon matin, soit à vélo soit en courant dans les sentiers allant d’Yvorne à la station.

S’il s’agit d’un samedi ou d’un dimanche, nous nous réveillons aux alentours de 7h30 puis Christoph nous prépare des cappuccinos pendant que je dresse la table pour le petit-déjeuner. Tiago joue, encore sans comprendre que maman et papa sont déjà habillés de leurs lycras pour aller rouler à vélo. Maintenant que nous l’avons, nous devons nous organiser afin que chacun de nous puisse profiter de sa journée à la montagne. L’un va rouler le matin et l’autre l’après-midi ou parfois nous y allons tous les trois – c’est alors au champion du monde qu’incombe la tâche de tirer la remorque de 20 kg !

Souvent nous essayons de nous croiser dans une buvette d’altitude entre la sortie de l’un et de l’autre et à la maison, nous cuisinons ensemble pour souper. Quand Tiago va se coucher, il est alors temps pour nous de nous affaler dans le canapé devant un film ou une série Netflix.

Bien que ni lui, ni moi, ne travaillions plus dans le milieu du vélo, notre passion pour ce dernier ne s’est en rien ébranlée. Au contraire. Maintenant que nous ne devons plus penser aux compétitions, notre nouvelle aventure préférée est de faire des voyages à vélo. En 2018 nous en avons fait deux : un qui reliait Bâle à Genève via les route de « gravel » du Jura et le dernier via la Estrada Real – la Voie Royale – reliant les montagnes à la mer, au Brésil.

© @deiamarcellini

 Propos recueillis par Kelly Grilo

A vous le relais

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