Début de saison nostalgique sur la côte ligure

Photos: A Swiss With A Pulse

La saison cycliste professionnelle a débuté en janvier en Australie, puis au Moyen-Orient. Une bonne partie du peloton est maintenant en Europe pour des épreuves qui rythment la saison depuis des lustres: en Espagne, sur la Côte d’Azur et bientôt en Italie.

L’an dernier, je me suis rendu sur la côte ligure avec mon pote Luca pour assister à l’une de ces courses: le Trofeo Laigueglia. Voici le récit de notre voyage; nous l’avons vécu tous les deux comme un retour aux sources mais pour des raisons qui nous sont propres à chacun, comme tu vas pouvoir le découvrir. Prêt? En route!

Luca a grandi à Turin et c’est là qu’il a couru dans ses jeunes années. En hiver, il fuyait le brouillard de la plaine du Pô pour aller s’entraîner sur la côte ligure toute proche. “La région bénéficie d’un micro-climat: même en janvier et en février, on peut rouler au chaud sur une étroite bande le long de la mer. Dès qu’on s’éloigne de quelques kilomètres, c’est l’hiver” m’explique-t-il alors que nous savourons notre premier café italien dans un Autogrill, quelque part dans la Vallée d’Aoste. Nous sommes déjà de l’autre côté des Alpes et il y a moins de neige que chez nous en Suisse: c’est bon signe.

Quant à moi, la Ligurie me rappelle Milano-Sanremo et les plus belles années que j’ai passées à l’UCI, dans une autre vie. Je me rendais chaque année sur la course: premier grand rendez-vous de la saison, la Classicissima marquait les retrouvailles du microcosme du cyclisme professionnel.

Coureurs, directeurs sportifs, journalistes, patrons d’équipes, dirigeants en tous genres: tous se retrouvaient au départ, dans la grisaille du centre de Milan. Une fois le peloton et la caravane en route, nous prenions la direction de l’autostrada pour rejoindre Sanremo et attendre l’arrivée au soleil de la Méditerrannée.

Nostalgique de ces belles années, je me réjouis de revivre une expérience similaire car nous sommes invités par l’organisation du Trofeo Laigueglia. Cette course, qui fêtait sa 60ème édition, marque traditionnellement le début de la saison en Italie. Elle a longtemps attiré les stars du peloton international.

Des grands noms comme Merckx, De Vlaeminck, Saronni et, un peu plus proche de nous, Museeuw figurent au palmarès de l’épreuve. En 1985, un jeune Ron Kiefel remporta la première victoire européenne de l’équipe américaine 7-Eleven devant le champion d’Italie Vittorio Algeri.

Aujourd’hui, les stars du peloton débutent leur saison en Australie, en Argentine ou au Moyen-Orient. Mais le Trofeo Laigueglia conserve un charme un peu désuet que je me réjouissais de découvrir.

Dès notre arrivée à l’hôtel Mediterraneo, nous sommes servis: l’équipe Pro Continental Eolo-Kometa y est également logée. En vain, nous cherchons Alberto Contador et Ivan Basso, les patrons du team. Les coureurs, eux, ont l’air si jeunes – ou alors c’est nous qui devenons vieux. L’agitation règne dans le lobby, le staff s’affaire aux derniers préparatifs. Tout le monde est impatient d’en découdre.

Le lendemain, jour de la course, l’enthousiasme est moindre car le ciel est gris et de fortes pluies sont annoncées durant la journée. On patientera pour l’ambiance printanière… et pour manger notre fritto misto en terrasse. 

Malgré cela, nous allons rouler. En effet, nous sommes invités par l’organisation à la “pedalata ecologica” sur le circuit final de la course. Nous imaginons une promenade réservée aux VIP et c’est à peu près cela. Sauf que ces VIP se nomment Pippo Pozzato, Davide Cassani, Marco Saligari et Mirko Celestino.

Au palmarès combiné de ces illustres pros retraités depuis plus ou moins longtemps, on retrouve pêle-mêle: un Milano-Sanremo, un Giro di Lombardia, des étapes du Tour, du Giro et de la Vuelta, un Tour de Suisse, un circuit Het Nieuwsblad, un GP E3, quatre Giro dell’Emilia, trois Milano-Torino et un championnat du Monde U23. Sans oublier quatre Trofeo Laigueglia.

Des VIP, dont certains ont plus de watts que les autres

Tous sont heureux de se retrouver et les discussions vont bon train dans le groupe. Même quand nous gravissons une côte en dépassant allègrement les 300 watts… avec Luca, nous essayons de garder un sourire qui se transforme vite en grimace avant de nous faire lâcher. Heureusement, tout le monde s’attend au sommet mais la descente nous remet encore une fois à notre place: les pros, même longtemps après leur retraite, possèdent un sens de la trajectoire ahurissant et, en trois lacets, nous sommes à nouveau loin derrière.

Après 12 kilomètres qui nous en paraissent le triple, nous voilà de retour sur la zone de départ. La pluie tombe de plus en plus fort et les coureurs font grise mine au moment de la signature. Il y a quelques têtes connues: Biniam Girmay, Alberto Bettiol, Thibaut Pinot… mais le gros du peloton est constitué d’équipes Pro Continental et Continental italiennes. Avec leurs tenues caractéristiques, couvertes des logos de leurs multiples sponsors. 

“Alors Biniam, que penses-tu du micro-climat ligurien?”

Petite parenthèse: il est de bon ton de se moquer de ces équipes “décorées comme un sapin de Noël” mais, pour ma part, je les ai toujours admirées. Elles jouent un rôle essentiel dans leur pays: ce sont elles qui permettent à la majorité des coureurs de grimper des échelons essentiels pour atteindre le World Tour. A combien de coureurs les Gianni Savio et autres Reverberi (père et fils) ont-ils donné un job au cours des 30 dernières années? Et combien de dizaines millions d’euros ont-ils injectés dans le sport grâce à la multitude de petits et grands sponsors qui ont garni leurs maillots, année après année? Il y a eu Eurocar, Kross, ZG Mobili, Androni Giocattoli, Diquigiovanni, Sidermec, Italbonifica, Scrigno, Panaria, Navigare, Bardiani, CSF… et tant d’autres.

Oui, ils m’ont donné bien du fil à retordre lorsque je travaillais à l’UCI, avec leurs budgets brinquebalants et leurs promesses que tout était en ordre. Mais en même temps, c’est eux que j’ai le plus de plaisir à retrouver lorsque je me rends sur les courses. Ce sont les derniers représentants d’une race en voie de disparition, chassée par les “devo teams”. Pour le meilleur ou pour le pire? C’est une autre histoire.

Combien de sponsors?

Mais revenons à la pluie de Laigueglia. Le départ est donné et nous rentrons nous changer à l’hôtel avant de prendre courageusement la direction du restaurant qui sert de zone VIP. Au moment du café, après 150km entre le bord de mer et les collines de l’arrière-pays, le peloton (ou ce qu’il en reste) affronte le final de l’épreuve: 4 tours du circuit que nous avons parcouru le matin.

La bagarre fait rage entre les guerriers frigorifiés qui restent en course. A ce jeu-là, c’est le Français Nans Peters qui se montre le plus fort et triomphe en solitaire. Au départ, c’est l’un des seuls qui semblait détendu: la course était déjà à moitié gagnée pour lui. 

“Le brun va si bien avec ton teint, Nans”

Malgré le déluge qui s’abat maintenant sur la côte ligure, la foule se presse pour assister à la cérémonie protocolaire. Grelottants, les coureurs emmitouflés défilent sur le podium pour recevoir leur prix. Puis tout ce petit monde se volatilise, en route pour la maison, la prochaine course ou un camp d’entraînement. La saison ne fait que commencer, et Laigueglia retourne à la torpeur d’une fin d’hiver dans une station balnéaire.

La fin d'une longue journée pour tout le monde

Le lendemain matin, le fameux micro-climat ligure cher à Luca est de retour et le soleil brille. Nous partons à la découverte de Laigueglia avec l’organisation de la course, une société nommée Extragiro. Son mot d’ordre: “le cyclisme est au service du territoire, pas l’inverse”. Qu’est-ce que cela veut dire ? Traditionnellement, le cyclisme attend (exige?) un service de la part des territoires qu’il traverse: des routes fermées, des infrastructures au départ et à l’arrivée, des hôtels, du cash pour les plus grandes courses. Or, de nos jours, ce modèle s’essouffle. Les organisateurs de la plupart des courses ont de plus en plus de peine à obtenir le soutien des autorités locales.

Pour remédier à cela, Extragiro veut renverser le paradigme: une course cycliste, c’est une plateforme pour mettre en valeur un territoire. Elle doit aider à promouvoir tout ce qui fait sa spécificité: la beauté de ses paysages, sa culture, sa gastronomie… Le but n’est pas seulement de faire venir du public pendant l’événement, mais aussi de générer une visibilité qui attirera de futurs visiteurs.

Nous passons donc la matinée à déambuler dans le vieux bourg piéton de Laigueglia en compagnie d’un guide local. Il nous conte l’histoire de ce village de pêcheurs devenu station balnéaire prise d’assaut par les touristes en été.

Une église majestueuse dans un village de 1800 habitants. Bienvenue en Italie

Heureusement, nous sommes hors saison. Hôteliers, commerçants et vignerons nous accueillent à bras ouverts pour nous faire découvrir les richesses de leur région. Avec Luca, nous essayons de ne pas abuser de l’excellent vin qui nous est donné de déguster car nous voulons aller rouler. 

Après un verre (ou deux) de trop, nous nous mettons enfin en route. Nous sommes encore en long mais c’est notre première sortie de l’année sans bonnet et sans gants épais. La liberté, quoi!

Après quelques centaines de mètres, nous voici déjà sur le Capo Mele, l’une des bosses du final de Milano-Sanremo. A ce stade, les pros ont 240 kilomètres dans les pattes et ils sont probablement encore deux fois plus rapides que nous.

Arrivés à Andora (avec un “r”, à ne pas confondre avec le micro-état pyrénéen où vit la moitié du peloton du WorldTour), nous quittons la côte pour monter vers le village de Testico, perché à un peu plus de 400 mètres d’altitude. La pente, d’abord imperceptible le long d’une rivière, se fait plus raide alors que nous nous élevons à travers les champs d’oliviers. Mais rien de trop difficile pour un début de saison: 7% tout au plus.

Parmi les oliviers

Après 10 kilomètres sur les crêtes, nous redescendons vers la mer et la ville d’Alassio avant de revenir à Laigueglia par la côte. Au total: 46km, un bon échauffement avant ce qui nous attend le lendemain.

En effet, nous avons prévu de suivre le tracé du Gran Fondo Laigueglia pour notre première grande sortie de l’année. L’événement, qui ouvre la saison amateur en Italie, s’est déroulé le week end précédent avec près de 1’000 participants.

C’est une idée de Luca: “en général, les Gran Fondos se déroulent sur de bonnes routes à l’écart du trafic et le parcours visite les lieux clés de la région” me dit-il alors que nous élançons sur la Via Aurelia, la route qui longe la côte.

Tout au long de la journée, son postulat se confirme. Nous enchaînons trois montées dans l’arrière-pays: Costa Bacelaga, Castellaro et Testico (dans le sens inverse du jour précédent). Les pentes sont régulières et nous ne montons pas plus haut que 500 mètres, ce qui nous préserve du froid. Oui, le micro-climat est une réalité!

Woohoo, micro-climat!

Et ce ne sont pas seulement les routes qui sont agréables: nous roulons au milieu de magnifiques paysages méditerranéens, entre champs d’oliviers et villages typiques. Au début, j’ai pourtant de la peine à capturer notre expérience avec mon appareil photo. J’ai l’habitude des pics acérés des Alpes et des paysages minéraux de la haute montagne. Ici, nous roulons beaucoup dans les bois et au milieu des broussailles. Les collines arrondies n’attirent pas mon regard, je peine à structurer mes images.

Heureusement, je trouve peu à peu mes marques et la frustration laisse place à la jubilation. Je parviens à jouer avec les formes tortueuses des oliviers et je profite des rares ouvertures dans la végétation pour capturer les collines boisées qui s’étendent à perte de vue en direction des montagnes.

Ce n’est pas les Alpes, mais on peut faire avec

Tout cela met Luca à rude épreuve et nous ne comptons plus les aller-retours pour peaufiner nos images. “Un peu plus à droite”… “ne regarde pas la caméra”… “encore une fois, mais en danseuse”… Il connaît la musique et exécute la chorégraphie à merveille. 

La journée avance et nos forces déclinent. En arrivant à Testico, j’ai la glycémie dans les chaussettes et nous nous engouffrons dans un bar. Le café est excellent et je dévore une brioche, une sorte de croissant fourré typique en Italie qui m’a déjà sauvé maintes fois. 

Une fois revenu à mes esprits, je remarque deux hommes à une table. Ils nous adressent la parole dans le parler local, dont je ne comprends pas un mot. Luca parvient, lui, à faire la conversation car le dialecte de son Piémont natal n’est pas si éloigné. J’en profite pour faire quelques photos et nous repartons avec un sentiment: ici, la vie s’écoule paisiblement et il ne faut pas beaucoup pour être heureux. 

Une leçon que nous avons amplement le temps de méditer alors que nous gravissons péniblement le Capo Mele juste avant d’arriver à Laigueglia. Nous sommes complètement cuits, ces 125km avec nos jambes de début de saison nous ont fourni un beau challenge.

Des mois plus tard, je me remémore tous les bons moments de ce séjour et j’espère que je pourrai retourner en Ligurie. La région n’est qu’à quelques heures de la Suisse et se prête admirablement à un (long) week end pour engranger les kilomètres à la fin de l’hiver.

Merci à Extragiro pour l’invitation et l’organisation de notre séjour. Nous avons séjourné à l’hôtel Mediterraneo, équipé d’un local à vélo et situé à quelques dizaines de mètres du centre historique de Laigueglia. 

La collection komoot avec nos sorties:

Alain Rumpf

Alain Rumpf

Cycliste passionné depuis plus de 35 ans, Alain Rumpf est bien connu sur les réseaux sociaux grâce à son compte « A Swiss with a Pulse » qui compte plus de 13’000 followers.

Dans une précédente vie, il a été coureur cycliste Elite et a travaillé 20 ans pour l’Union Cycliste Internationale. En 2014, il décide de quitter le confort d’un bureau pour devenir guide, photographe, rédacteur et consultant. Il collabore avec Suisse Tourisme, Haute Route, Scott, Apidura, Alpes Vaudoises, komoot, Vélo Magazine, le Tour des Stations et bien d’autres. Il dirige le site Switchback, un guide du vélo de route et du gravel dans les Alpes et au-delà. Découvrez ses projets sur son site www.aswisswithapulse.com et tous ses articles sur cycliste.ch.