La Fauniera : un col d’un autre âge

Cet article est tiré d’un reportage publié par Alain dans Vélo Magazine

Qu’est-ce qui a pris Carmine Castellano, alors directeur du Giro d’Italia, de faire gravir – et descendre – le Colle Fauniera au peloton à deux reprises en 1999 et 2003 ? C’est la question que je me pose depuis que j’ai gravi de ce géant méconnu du Piémont avec mon ami Luca.

Certes, les patrons du Giro ont la réputation de faire des choix de parcours audacieux et de dénicher des ascensions improbables comme le Mortirolo ou le Zoncolan. Mais la Fauniera, c’est encore autre chose.

Pour se lancer à l’assaut de la Fauniera, on peut partir de Cuneo, chef-lieu de la province du même nom. Cette cité de 55’000 habitants à mi-chemin entre Nice et Turin est idéalement placée au pied des Alpes Cottiennes à l’ouest et des Alpes Maritimes au sud ; elle permet d’atteindre d’autres cols majeurs tels que l’Agnel, la Lombarde et le Colle Sampeyre.

On s’éloigne rapidement de la ville par la strada provinciale pour se rapprocher des montagnes. Le trafic du matin peut s’avérer dense, les camionnettes vont vite mais les conducteurs respectent les cyclistes – on est en Italie. Au 12ème kilomètre, changement d’ambiance : on tourne à gauche à Caraglio pour se retrouver sur une route quasi déserte. On entre dans le Val Grana, qu’on ne quittera plus jusqu’au sommet. 

Au début, la pente est imperceptible. Elle s’accentue ensuite légèrement mais on progresse à bonne allure jusqu’au village de Pradleves (km 25) qui marque l’entrée d’une gorge encaissée. Là, un panneau annonce la couleur : il reste 21,9 km jusqu’au sommet et la pente moyenne est de 7,6%. Les choses sérieuses commencent… d’autant plus que la notion de pente moyenne ne signifie pas grand chose : de Campomolino jusqu’à Chiotti Sant’Anna, on dépasse allègrement les 10% avec des pointes à 14. 

La pente moyenne ne raconte qu’une partie de l’histoire

Un bref replat permet de se ravitailler puis la route se rétrécit et la pente s’accentue encore : on s’approche du sanctuaire de San Magno, dans un paysage de plus en plus alpin. En 1999, c’est là que Marco Pantani a placé un démarrage ravageur pour s’extraire du groupe des favoris du Giro en compagnie d’Ivan Gotti lors de la 14ème étape qui menait les coureurs de Bra à Borgo San Dalmazzo. Où exactement ? On ne le sait pas : la Fauniera était dans le brouillard et les hélicoptères n’avaient pu décoller, privant les téléspectateurs d’images TV.

Après le sanctuaire, à 9 km du sommet, la chaussée devient franchement mauvaise. On doit slalomer entre les nids de poule qui se sont creusés depuis le passage du Giro. On imagine Il Pirata danser sur les pédales alors que l’on garde le regard fixé sur la route.

Quelques centaines de mètres plus haut, une fontaine permet de se désaltérer et l’on commence à deviner le col sur la gauche, parmi les rochers. A deux kilomètres du sommet, la pente s’adoucit quelque peu et le Rifugio Fauniera fournit une dernière occasion de se ravitailler. On passe près du Colle d’Esischie (2’370m), autre accès à la Fauniera utilisé lors du Giro 2003, avant d’atteindre le col à 2’481m. On a alors parcouru 47 km depuis Cuneo. Pas de refuge ou de café au sommet: juste un petit parking et un monument à la mémoire de Marco Pantani, érigé quelques mois après sa mort en 2004.

Le monument à la mémoire de Il Pirata

Le Colle Fauniera est une montée folle de par sa longueur et son dénivelé digne d’un Stelvio. Mais que dire de la descente ? Tout d’abord, qu’elle traverse des paysages magnifiques. En roue libre, on peut enfin lever le nez et admirer les sommets qui s’alignent à perte de vue dans toutes les directions. Il faut toutefois être prudent : la route reste étroite et sinueuse. C’est alors qu’on se souvient que les coureurs du Giro sont passés par là. Et que Paolo Savoldelli, le descendeur fou, y a gagné son surnom de Il Falcone, le Faucon. Passé au sommet à une minute de Pantani et Gotti, il a fondu sur ses proies pour les rattraper puis les dépasser à San Giacomo, 14 kilomètres plus bas. La course était alors sortie du brouillard et les images d’archive que l’on trouve sur internet témoignent de l’exploit du coureur italien à la face d’ange, vainqueur de l’étape un peu plus loin à Borgo San Dalmazzo.

La descente de la Fauniera

La descente du Colle Fauniera, longue de 24 kilomètres, se termine à Demonte dans le Val Stura. Si l’on remonte la vallée, on se dirige vers la France par le Col de la Lombarde ou le Col de Larche (Colle della Maddalena en italien). Si l’on descend, on va vers Cuneo. On peut rester sur la route principale, mais les initiés choisiront d’obliquer à droite à la sortie de la localité pour rejoindre la SP337 qui serpente à l’ombre jusqu’après Gaiola. On a alors rejoint la plaine et Cuneo n’est plus qu’à quelques kilomètres en léger faux-plat descendant. Un épilogue en douceur pour une sortie musclée : 99 kilomètres et 2100 mètres de dénivellation.

Le Giro est retourné sur les pentes de la Fauniera en 2003, en tournant cette fois juste avant le sommet pour redescendre par le Col d’Esischie.  L’ascension était placée trop tôt pour jouer un rôle déterminant lors de l’étape marquée par la chute de Marco Pantani dans la descente du Colle di Sampeyre voisin. Est-ce que le peloton professionnel reviendra un jour sur ces routes ? La Fauniera est régulièrement citée dans les rumeurs qui précèdent la présentation officielle du parcours du Giro mais j’en doute dans le contexte du cyclisme d’aujourd’hui : coureurs et suiveurs s’offusqueraient des conditions de sécurité précaires dans la descente. 

De plus, l’état de la chaussée, malmenée par le gel, les avalanches et la pluie, empire chaque année au point qu’on se demande combien de temps elle restera praticable. Autrefois sous la responsabilité de l’armée italienne qui l’a employée pour des exercices jusqu’en 2014, la route est aujourd’hui inutilisée une bonne partie de l’année et les communes de Castelmagno et de Demonte n’ont pas les moyens de l’entretenir.

Il vaut mieux lever le nez de sa potence pour regarder où l’on va

C’est en fait l’organisation du Granfondo Fausto Coppi, une prestigieuse cyclosportive qui emprunte les cols de la région, qui finance les réparations urgentes : chaque année, les 200 premiers dossards sont vendus 120 euros pour alimenter un fond spécial. Cette année, il semble que des travaux importants soient enfin entrepris, si l’on en croit un post de la Fausto Coppi sur Insta.

Allez donc grimper le Colle Fauniera pendant qu’il est encore temps, vous ne le regretterez pas… sauf peut-être au plus fort de l’ascension, quelque part autour du sanctuaire de San Magno. Sur cette route d’un autre âge, on ressent une solitude que l’on ne trouve plus sur les grands cols alpins victimes d’un tourisme qui croule sous son propre poids. Lors d’une belle journée de juillet, on n’y verra qu’une poignée de voiture, quelques motards aventureux au guidon de machines dignes du Dakar et des cyclistes venus d’un peu partout. Et pas un camping car.

Conseils

La Fausto Coppi

La Fauniera est le col emblématique de la Fausto Coppi, une cyclosportive qui réunit plus de 2’500 participants. Retrouvez notre présentation ici.

Quand escalader le Colle Fauniera

La route est généralement ouverte de début juin à fin octobre, en l’absence de chutes de neige. Contrairement à de nombreux cols alpins plus populaires, la circulation est faible durant toute la saison.

Cafés et restaurants

Le Rifugio Fauniera est situé à 2 km du sommet. On trouve des restaurants et des bars de part et d’autre du col à Pradleves et à Demonte.

Alain Rumpf

Alain Rumpf

Cycliste passionné depuis plus de 35 ans, Alain Rumpf est bien connu sur les réseaux sociaux grâce à son compte « A Swiss with a Pulse » qui compte plus de 13’000 followers.

Dans une précédente vie, il a été coureur cycliste Elite et a travaillé 20 ans pour l’Union Cycliste Internationale. En 2014, il décide de quitter le confort d’un bureau pour devenir guide, photographe, rédacteur et consultant. Il collabore avec Suisse Tourisme, Haute Route, Scott, Apidura, Alpes Vaudoises, komoot, Vélo Magazine, le Tour des Stations et bien d’autres. Il dirige le site Switchback, un guide du vélo de route et du gravel dans les Alpes et au-delà. Découvrez ses projets sur son site www.aswisswithapulse.com et tous ses articles sur cycliste.ch.