Quelle formule pour les granfondos?

Il y a quelques semaines, j’ai participé à The Emperor, la course par étapes du Gstaad Road Bike Festival. Au programme: un contre la montre en côte de 7km le vendredi après-midi, 145km le samedi et pour finir 113km le dimanche. Il était possible de participer à une seule épreuve, ou alors de faire les trois pour figurer au classement de la course par étapes.

Je m’en suis bien tiré. Ma deuxième place au général m’a valu un excellent fromage d’alpage de l’Alp Gumm et une grosse coupe qui trône derrière mon bureau, bien en vue quand je fais mes zoom calls.

Précision: nous étions 19 inscrits, et seule une douzaine d’entre nous a fait les trois étapes. Pas de quoi en tirer une quelconque gloire, si ce n’est auprès de mon fils qui me met désormais au même niveau que Tadej, Annemiek et Remco.

Say cheese

Le plus important pour moi, et ce que je veux partager ici, c’est que j’ai eu un plaisir monstre. Laissez-moi vous expliquer pourquoi.

En préambule, une précision qui a son importance: seuls certains secteurs étaient chronométrés. Sur le reste du parcours, nous roulions en groupe, comme sur un social ride. Un vrai, où on n’essaie pas d’impressionner la galerie et de larguer les autres, parce que ça ne sert à rien.

Premier bénéfice de la formule: je me suis fait de nouveaux amis. Au départ du contre la montre en côte le vendredi, on se regardait tous en chiens de faïence. Lors du repas de clôture (un vrai, pas seulement un plat de pâtes trop cuites), nous étions tous potes. Adrian, le vainqueur allemand spécialiste des cyclos dans son pays. Stephan le Belge, Franck l’Alsacien exilé à Thoune, Martin l’ex-patineur de vitesse olympique et Yvonne, businesswoman hollandaise finaliste de la Zwift Academy il y a quelques années. Une joyeuse bande hétéroclite avec laquelle je n’aurais pas tissé de tels liens sur un granfondo classique. Chaque ravito et chaque secteur de liaison étaient une occasion de plus de faire connaissance.

Avoir le temps de s'arrêter au ravito ET de faire une photo de sa barre faite maison

Deuxième point important: la sécurité. J’aime la compétition car elle me permet d’aller plus loin dans l’effort, de découvrir en moi des ressources que je ne pensais pas avoir au moment où se profile la ligne d’arrivée. J’aime l’endorphine. L’adrénaline, celle qui résulte de rouler à l’aveugle dans un peloton lancé à pleine vitesse? De descendre à tombeau ouvert une route inconnue dans la roue d’un concurrent qui a débranché son cerveau? Beaucoup moins.

D’autres cyclistes ont une vision différente et préfèrent se battre coûte que coûte contre le chronomètre du départ à l’arrivée, et je le respecte. J’étais comme ça, jusqu’à ce que je teste la formule l’an dernier à la Haute Route Crans-Montana. Maintenant je suis conquis.

Un autre bénéfice de ce format: il permet aux organisateurs de tracer des parcours originaux, hors des sentiers battus. Sur The Emperor, nous avons gravi le Col de la Pierre du Moëllé. Un talus dont le dernier kilomètre dépasse allègrement les 15% de moyenne, alternative au classique col des Mosses.

J’avais proposé cette joyeuseté au responsable du parcours du Gran Fondo Suisse, qui avait poliment refusé quand il avait vu la descente: les bovi-stops, les nids de poule et les bouses de vaches n’auraient plu ni à l’UCI ni aux concurrents lancés à pleine vitesse pour décrocher leur qualification aux mondiaux. Pour nous, pas de problème: le chronomètre est arrêté, on descend à allure modérée en admirant le paysage et en slalomant entre les bouses.

Mais alors, me direz-vous, pourquoi mettre un dossard? Est-ce vraiment une course? La réponse, je l’ai sentie dans mes jambes. Quand j’ai tout donné pour terminer premier ex aequo au sommet de l’Alp Gumm et gagner mon fromage. Quand je me suis accroché le lendemain dans le Mittelberg pour garder le contact visuel avec Stephan qui s’en allait devant moi, centimètre par centimètre. On s’est tiré une bourre d’enfer, avant d’en rigoler au ravito suivant (une excellente tresse maison et du schorle servis par les locaux dans le hameau d’Abländschen). 

Un quinqua au seuil, voilà à quoi ça ressemble

Et la tactique dans tout ça? Absente, parce qu’il suffit de faire parler les watts? Que nenni. Le deuxième jour, j’ai pu faire parler ma connaissance du terrain et mon instinct de killer pour reprendre un temps précieux à Stephan en attaquant au bon moment sur un secteur vallonné et tortueux du côté de Rossinière. Une belle partie de manivelles, et là encore de gros rires au ravito suivant servi par le boulanger du coin.

Je me souviens aussi que l’an dernier, Corinne Waridel avait grapillé un temps décisif en attaquant dans une descente sur la route de la Grande Dixence lors de la Haute Route Crans-Montana. Membre du team cycliste.ch, elle avait remporté le général pour deux secondes le lendemain. 

Bref: pour moi, cette formule a un beau potentiel et j’espère qu’elle va trouver son public. Elle permet à chacun de se mesurer aux autres, en limitant les risques et en favorisant la convivialité. Long live The Emperor!

Ceci dit, il en faut pour tout le monde et je salue les efforts de tous les organisateurs pour mettre sur pied de belles épreuves pour tous les passionnés. Alors que la saison se termine, profitons-en pour les remercier. A l’année prochaine les cyclistes.

Alain Rumpf

Alain Rumpf

Cycliste passionné depuis plus de 35 ans, Alain Rumpf est bien connu sur les réseaux sociaux grâce à son compte « A Swiss with a Pulse » qui compte plus de 13’000 followers.

Dans une précédente vie, il a été coureur cycliste Elite et a travaillé 20 ans pour l’Union Cycliste Internationale. En 2014, il décide de quitter le confort d’un bureau pour devenir guide, photographe, rédacteur et consultant. Il collabore avec Suisse Tourisme, Haute Route, Scott, Apidura, Alpes Vaudoises, komoot, Vélo Magazine et bien d’autres. Il dirige le site Switchback, un guide du vélo de route et du gravel dans les Alpes et au-delà. Découvrez ses projets sur son site www.aswisswithapulse.com et tous ses articles sur cycliste.ch.