Photos: kuwa.swiss
Il y a une dizaine d’années, je suis tombé dans la marmite de l’ultra: des trucs stupidement longs que tu termines dans un état lamentable et qui te font passer pour un idiot lorsque tu en parles au repas de famille à Noël.
Cela a commencé en fanfare, lorsque je me suis inscrit à la Transcontinental Race sur un malentendu en 2015. Je me demande encore comment j’ai fait pour atteindre l’arrivée à Istanbul, sans aucune expérience: c’est ce que l’on doit appeler la chance du débutant.
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Mais cela m’a motivé à me lancer dans d’autres galères défis: au fil des années, j’ai participé à Torino-Nice, à la SUCH, à Dead Ends & Cake ainsi qu’à sa variante tessinoise, Dead Ends & Dolci.
Cette année, je prendrai le départ de l’Alps Divide en septembre, après la Gravel Trans Jura ce printemps. Et l’an dernier, j’ai participé à The Ultimates 1000, dont la deuxième édition se déroule en ce moment.
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Je ne vais pas revenir sur le déroulement de ma course, que tu peux découvrir dans les stories que Lillie a postées sur mon compte Insta à partir des photos et vidéos que je lui ai envoyées en route. Mais j’aimerais m’arrêter un instant sur le “pourquoi”: qu’est-ce qui me pousse à me mettre dans des états pareils? Et à recommencer? Pourquoi est-ce que je ne me contente pas d’enchaîner les cols sur un granfondo avant de rentrer à la maison pour dormir dans mon lit?
Sur son excellent blog Semi-Rad, Brendan Leonard a écrit:
“Je pense que nous devons tous passer plus de temps à faire des choses que nous aimons, à aller dans des endroits qui nous font nous sentir petits, à nous moquer de nous-mêmes et à avoir un peu froid, à être fatigués et à avoir peur de temps à autre.”
En une phrase, Brendan a répondu à ma question. Je vais cependant essayer d’être spécifique et d’expliquer avec bien plus de mots et bien moins de talent comment je vis ce mantra au travers du bikepacking.
Sans plus attendre, voici… (roulement de tambour)…
Les 6 raisons qui me motivent à participer
à des événements de bikepacking
Déconnecter
Quand tu participes à un événement comme The Ultimates 1000, la vie est simple: tu roules, tu manges et tu dors. Certains (pas moi) essaient même d’éviter cette dernière activité. Pendant les 90 heures de ma course, je n’ai pas regardé un seul reel sur Insta, j’ai oublié les emails qui s’empilaient dans mon inbox et j’ai cessé de penser à ma déclaration d’impôt en retard.
Au lieu de cela, j’ai pédalé sous le soleil et sous la pluie. J’ai regardé mon dénivelé augmenter et mes watts diminuer au fil des ascensions. J’ai mangé beaucoup de Snickers et j’ai bu plein de Coca. Et surtout, j’ai passé du temps avec moi-même. Les événements de bikepacking sont un moyen idéal, bien qu’un peu douloureux, d’accéder à ce luxe ultime pour un introverti comme moi.
Me mettre (un peu) en danger
Je vis une existence confortable. Pas de mammouths à chasser, pas de guerre à fuir, pas de gangs dans les rues de mon village. Tout au plus une pandémie à raconter à mes petits enfants. Pendant The Ultimates 1000, j’ai interrompu le long fleuve tranquille de ma vie avec de brèves angoisses.
En quittant Biasca, j’ai compris que j’allais grimper le Gothard au soleil couchant et que je passerais la Furka de nuit. Rien de bien terrifiant, jusqu’à ce qu’un orage me surprenne peu avant Airolo: un bref regard sur le radar de MeteoSuisse (oups, je me suis connecté) m’a suffi pour comprendre que le passage de ces grands cols alpins pourrait se révéler… inconfortable.
Les masses bleues, vertes, jaunes et violettes s’agitaient sur la carte et je me préparais à affronter les éléments en regrettant d’avoir allégé mon équipement au maximum. Les 1700m de D- entre le sommet de la Furka et Brig pourraient devenir une longue descente aux enfers, version froide et humide.
Après une montée de la Tremola face à un vent furieux, j’ai basculé vers Hospental la boule au ventre. Passer la nuit à Andermatt n’était pas une option: le temps n’allait qu’empirer le lendemain, avec une limite de la neige en baisse. J’ai donc obliqué à gauche et me suis dirigé vers le Valais. Mais comme à Hollywood, tout s’est bien terminé: les cieux ne se sont pas déversés sur moi. Au sommet d’une Furka plongée dans la nuit et le brouillard, j’ai rejoint Sébastien avec qui j’ai regagné la vallée au sec, sain et sauf. Ouf, retour au confort (même s’il restait encore 250 km et 8500 mètres de D+ jusqu’à l’arrivée).
Fabriquer des souvenirs
Quand je participe à des événements de bikepacking, je vis des moments uniques. Et The Ultimates 1000, c’est une odyssée à travers les Alpes qui m’a emmené dans des endroits extraordinaires.
Un épisode restera à jamais gravé dans ma mémoire: le soir du deuxième jour, je suis arrivé à Grindelwald. Le village était en fête et j’ai eu de la peine à me frayer un chemin à travers la foule. Ça sentait la saucisse grillée et la musique live battait dans mes tympans.
Dès que je me suis éloigné du centre, le calme est revenu. Alors que la nuit tombait, je me suis engagé sur la route abominablement raide qui mène à la Grosse Scheidegg. Vu l’heure avancée, je ne risquais plus de me retrouver nez à nez avec les terrifiants Postbus qui jettent les cyclistes dans le caniveau sur leur passage.
J’ai grimpé seul. Lentement, un coup de pédale après l’autre. Dans les lueurs du crépuscule, je devinais le sommet de l’imposant Wetterhorn au-dessus de ma tête, et la face nord de l’Eiger derrière moi.
Sans un événement comme The Ultimates 1000, je n’aurais pas vécu ce moment unique, immortalisé par le talentueux Etienne Bornet et son team de Kuwa Swiss qui m’attendaient au sommet.
Rencontrer mes semblables
Je suis un introverti, mais j’apprécie tout de même la compagnie d’autres humains. Et si j’ai couru en solo, j’ai rencontré d’autres concurrents sur la route. Souvent les mêmes, car après une journée de course les positions sont bien définies et on se croise souvent plusieurs fois par jour, au gré des arrêts des uns et des autres.
Pendant The Ultimates 1000, deux rencontres m’ont marqué:
Sébastien, et pas seulement parce que nous étions tous les deux dans la nuit et le brouillard de la Furka à 2400 mètres (voir plus haut). Père de famille comme moi, lui aussi fait des trucs durs tout en jonglant avec le quotidien qui ne lui permet pas toujours de s’entraîner autant qu’il le voudrait. Un beau moment de partage.
Cyril, qui m’a rattrapé à 4 kilomètres de l’arrivée sur la Croix de Coeur. Je me battais depuis Euseigne pour rester devant son point (oups, je me suis connecté) et j’aurais pu le haïr pour me devancer au classement. Au lieu de cela, nous avons sympathisé en échangeant nos expériences. En quelques minutes, nous sommes devenus des amis.
Il est bon de rencontrer des gens qui partagent nos passions. On se comprend, et c’est bon de s’en souvenir au moment des conversations difficiles autour de la dinde de Noël.
Apprendre sur moi-même
Même après 40 ans de compétition cycliste, je fais des bêtises et j’apprends encore des choses sur moi-même.
J’ai vécu l’un des pires moments de ma course dans le Susten. La veille au soir, j’avais mangé avant d’arriver à Grindelwald puis j’avais enchaîné avec la Grosse Scheidegg et les premiers kilomètres du Susten. Je m’étais arrêté vers minuit dans un hôtel à Gadmen pour dormir quelques heures, non sans avoir englouti juste avant de me coucher un sandwich bien mou et spongieux acheté dans une station service du côté d’Interlaken.
J’ai avalé une barre énergétique au saut du lit avant de me remettre en selle vers 6h. Cela allait suffire jusqu’à la première boulangerie de l’autre côté du col, me suis-je dit.
A 9 km/h de moyenne, l’ascension du Susten fut… pénible. J’étais au bout de ma vie et je croyais que ma course était terminée. J’avais sans doute trop forcé la veille: 300 bornes et 7000m de D+, ce n’était plus de mon âge.
Arrivé à Göschenen, j’ai démoli le buffet du petit déjeuner d’un hôtel et je suis reparti vers Andermatt. Sur la toute nouvelle piste cyclable ultra raide qui remonte les Gorges de Schöllenen, j’avais retrouvé mes watts et j’ai enchaîné avec l’Oberalp, le Lukmanier, le Gotthard et la Furka avant de m’arrêter à Viège au terme d’une nouvelle journée marathon.
La leçon du jour: comme je le dis à mon fils, prends un bon petit-déjeuner. Et je ne suis pas (encore) trop vieux.
Passer la ligne d’arrivée
Quand tu finis un tel événement, les sensations sont au format XXL: le soulagement, le mal aux fesses, la joie de retrouver ma femme et mon fils, la fierté. Le goût de la première bière, qui m’assomme au bout de la troisième gorgée. Et cette envie de bouffer qui ne me quitte pas pendant des jours, tant que ce n’est pas des Snickers et du Coca.
Tout cela, je le souhaite aux participants de The Ultimates qui bataillent en ce moment dans les Alpes. Tu peux suivre la course ici (avertissement: le dotwatching est hautement addictif).
Et si tu veux venir féliciter les finishers à Aigle, un social ride le samedi 3 août t’emmènera sur les derniers kilomètres du parcours. Tous les détails sont ici, j’y serai et j’espère rouler avec toi!
Alain Rumpf
Cycliste passionné depuis plus de 35 ans, Alain Rumpf est bien connu sur les réseaux sociaux grâce à son compte « A Swiss with a Pulse » qui compte plus de 13’000 followers.
Dans une précédente vie, il a été coureur cycliste Elite et a travaillé 20 ans pour l’Union Cycliste Internationale. En 2014, il décide de quitter le confort d’un bureau pour devenir guide, photographe, rédacteur et consultant. Il collabore avec Suisse Tourisme, Haute Route, Scott, Apidura, Alpes Vaudoises, komoot, Vélo Magazine, le Tour des Stations et bien d’autres. Il dirige le site Switchback, un guide du vélo de route et du gravel dans les Alpes et au-delà. Découvrez ses articles sur cycliste.ch.