Le Tour des Stations, entre Mont Blanc et Everest

Après le succès de ses trois premières éditions, le Tour des Stations a vu cette année les choses en grand : le parcours Ultrafondo propose de gravir l’Everest à vélo : 8848m D+ pour 242km. Rien que ça !

J’opte pour ma part pour le parcours intermédiaire, le Granfondo, qui totalise 4700D+ pour 132km. Je me contenterai de gravir le Mont Blanc.

Il y a aussi le Mediofondo, le « petit » parcours de 74km pour quand même 2850D+. Petit mais costaud ! Sans parler du parcours e-bike de 34km et du Bambifondo réservé aux enfants. Personne n’a été oublié. Chacun peut avoir droit à sa dose de sueur !

Mes trois précédentes participations s’étaient déroulées sans encombre. De simples coups de moins bien presque incontournables sur ce genre de course. Cette fois mon physique et mon mental allaient être soumis à plus rude épreuve.

En ce samedi 7 août, après une bonne nuit de repos (il faut bien créer l’effet de surprise), je me dirige en voiture vers le Châble où a lieu le départ. Le mien est à 6h30, SAS 2. Je suis au taquet, remontée comme un coucou. Objectif: moins de 6h30. Un ami m’a promis le champagne si j’y parviens.

Me voilà garée sur le parking, prête à rejoindre la ligne de départ. Je pose mon sac de rechange, qui sera acheminé jusqu’à Verbier, sur mon guidon. Ce qui n’était visiblement pas une brillante idée : le voilà qui se coince dans la fourche. Pas le temps de dire ouf que je gis déjà au sol, sous le regard gêné d’une vingtaine de cyclistes qui se dirigent aussi vers le départ. #lhistoiredemavie

C’est parti : nous nous élançons dans la joie et la bonne humeur à l’assaut de la première ascension de la journée : le Col du Lein.

La vue est sublime, la nature sauvage, la météo parfaite.

Nous en profitons pour faire de jolies photos. En format instagrammable s’il vous plaît, comme me le rappelle un de mes coéquipiers.

Jusque là la journée s’annonce bien… La descente est une merveille, incroyablement bien sécurisée par des panneaux signalant la courbe de chaque virage, et par des bénévoles qui se tiennent aux plus dangereux d’entre eux. La vue sur la vallée est exceptionnelle, mais à l’allure à laquelle nous descendons, il est déconseillé de la contempler comme elle le mériterait, sécurité oblige.

Pour les 25km de plat qui relient Saxon à Bramois, nous nous organisons à six pour les relais, faisant au passage le bonheur de la quarantaine d’autres cyclistes qui trouvent refuge derrière nous. Puis nous attaquons la montée de Nax. Un cycliste me reconnaît : nous avions pris des relais ensemble à la Cyclo La Favorite il y a 2-3 ans. Il me raconte le fardeau que sont les crampes pour lui, armé de sa précieuse flasque de jus de cornichon. Aux effets plus psychologiques que réels selon lui. Mais l’impression rassurante de tenter quelque chose. Je lui réponds que par chance cela ne m’est encore jamais arrivé sur le vélo.

Bien mal m’en a pris. Car 3 heures et 2 ascensions plus tard, voilà les vilaines qui font leur apparition dans mes gambettes, sans crier gare. En commençant par l’adducteur droit, suivi quelques secondes plus tard par le gauche. Question d’équilibre sans doute. Je tente la coopération. Je supplie mes fifilles d’attendre la ligne d’arrivée pour m’infliger toutes les misères qu’elles veulent. Avec indemnités de retard. Deal accepté, mais avec interdiction formelle de me mettre en danseuse. Sous peine de représailles. Vilaines fifilles.

La montée de Thyon, la troisième du parcours, allait aussi se régaler de moi. J’aime beaucoup cette montée, entre ombre et lumière, entre forêt et alpage. Mais je ne sais pas pourquoi, on ne peut pas dire que ce soit réciproque. Chaque année elle m’en fait une. Cette année j’ai droit aux nausées. Remarquez ça change du simple coup de moins bien. D’une pierre deux coups…

Dès la sortie du mur d’Hérémence, la première grosse difficulté du parcours, je sens que quelque chose ne va pas. Je suis prise de vertiges. J’avale un gel sans conviction. J’ai soif mais je dois rationner mon eau car je ne sais pas où se trouvera la prochaine fontaine.

Un peu plus loin, aux Collons, j’aperçois des ravitailleurs sur le côté droit. Ils m’offrent un service 4****. Je me précipite sur le coca tandis qu’ils remplissent ma gourde. Ils me proposent barres, bananes et biberlis. Auxquels j’aurais aimé faire honneur, mais impossible pour moi de manger quoi que ce soit de solide. Je tente alors d’avaler un autre gel. Que je manque de régurgiter l’instant d’après. Décidément, la course sera longue !

Je finis cette montée tant bien que mal, au mental plus qu’au physique, avant la libération plus que bienvenue de la descente. Et quel régal cette descente ! Je fais honneur à mon surnom Fittipaldi. Sauf qu’en arrivant sur Veysonnaz, le revêtement est par endroits en si mauvais état que les secousses font voler ma gourde dans les airs avant de rouler dans tous les sens sur la route. Vous auriez dû me voir, à courir tous azimuts à tenter de capturer le bidon qui me file entre les doigts comme un poisson.

Le moment de répit s’achève à Beuson lorsqu’il est temps de s’attaquer à la montée de Nendaz, par de jolies petites routes mais par endroits exigeante. Cette fois c’est au tour des genoux de me faire une blague. Comme si à cet instant j’avais le sens de l’humour. Genou droit, genou gauche : décidément la misère chez moi aime la symétrie ! Cette fois j’en suis sûre : je vais finir ce tour des Stations sur les rotules ! À chaque coup de pédales il me faut serrer les dents.

Sauf lorsque j’aperçois les photographes officiels, et que je réussis le tour de force de sourire. Ou plutôt de simuler un sourire. D’ailleurs je me demande si on devinera la supercherie sur les clichés.

La Forêt Verte est le chemin de traverse du Tour des Stations : une portion de gravel qui relie Isérables à la Tzoumaz, avec ses airs de forêt enchantée. Mais croyez-moi, l’enchantement est de courte durée quand se dresse devant vous le vilain passage à 20% !

Après un arrêt express au dernier ravitaillement, avec des bénévoles aussi souriants et encourageants que serviables, il est temps d’en finir avec le dernier morceau, et pas des moindres : le Col de La Croix de Cœur. Je jette un œil à mon compteur, et plus précisément au temps écoulé. Je suis bien en retard par rapport aux 5h55 que j’aurais dû respecter pour espérer accomplir mon objectif. Tant pis, misère pour misère, autant donner le tout pour le tout. Pas de chrono, un objectif raté, mais je refuse de franchir la ligne avec la sensation de n’avoir pas tout donné. Je me cale sur mes watts. 200. Que j’ai décidé de tenir jusqu’au bout coûte que coûte.

A un virage de l’arrivée j’ai envie de pleurer. Mais c’est finalement le sourire qui s’impose, authentique celui-ci, lorsque que j’aperçois le Diable en personne qui se tient sous l’arche annoncant la fin de mon calvaire. Et le goût tout proche de la sainte bière.

Descendue de mon vélo, je ne tiens presque pas sur mes jambes tellement mes genoux sont douloureux, mais la satisfaction et la joie sont à la hauteur de la souffrance. 18 minutes de retard par rapport à mon objectif. Une médaille en chocolat. Je n’aurai pas ma flûte de champagne. Mais je me suis battue comme j’ai pu et jusqu’au bout malgré les péripéties.

J’ai fais la connaissance de gens exceptionnels tout au long du parcours : des cyclistes joyeux, des ravitailleurs que je remercie profondément pour leur générosité tandis que je m’incrustais à leur ravito destiné à d’autres ; des masseurs à l’arrivée heureux de nous apporter un peu de réconfort, sans être rebutés par nos corps crasseux, dégoulinant et rugueux de sel. Et surtout, je suis arrivée et redescendue sur Verbier au sec. Une chance que beaucoup n’ont pas eue.

La météo s’est montrée digne de l’Everest : un ciel bleu qui laissa place en quelques minutes à un brouillard épais, suivi d’un violent orage avec pluie diluvienne et d’un vent à décorner les bœufs. Le tout avec une température de 4 degrés au sommet du Col de La Croix de Cœur. À 15h45 la course est neutralisée.

J’ai vu arriver des cyclistes trempés jusqu’aux os, dans un état de tremblement jamais observé auparavant. Frôlant l’hypothermie. Des scènes terribles à voir. C’est dans ces conditions extrêmes qu’un formidable élan de solidarité est né. Comme un ami qui a trouvé refuge chez l’habitant, qui lui a offert une douche bien chaude, des habits secs, à manger et à boire. Ou un autre qui, ne parvenant plus à tenir son guidon, s’est abrité dans un supermarché. Les employés, constatant son état, l’ont pris en charge, réchauffé en allumant deux fours à pain, tout en lui frottant de dos et en lui préparant du thé. Les restaurateurs des stations ont fourni des couvertures de survie aux participants tandis que s’organisait leur rapatriement en bus.

Alors oui, une course qui se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes, c’est sympa. Du genre Martine fait le Tour de Stations. Martine sourit (vraiment), sent encore la lessive à l’arrivée, fait péter le chrono, boit une limonade bien fraîche car l’alcool c’est pas bon pour la récup. Mais nous on n’est pas Martine : si les photographes étaient planqués on ferait tous la grimace sur les photos. On arrive puants et dégoulinants. Question chrono on s’est vautré.

Mais on a partagé les mêmes souffrances. Unis jusqu’à l’agonie. Pour le meilleur et surtout pour le pire. À l’arrivée on a donné tout ce qu’on avait à disposition pour réchauffer nos acolytes les plus mal en point. On a bu des bières jusqu’à ne plus sentir le froid. Ni la fatigue. Ni les douleurs partout dans le corps. Et jusqu’à en avoir assez de faire les aller/retour aux toilettes.

Au final, c’est dans la douleur que s’écrivent les plus belles histoires, aux accents de compassion et de solidarité. Alors cette quatrième édition du Tour des Stations était certes éprouvante, mais nous nous en souviendrons à coup sûr comme l’une des plus belles et des plus marquantes. Ce n’est pas tous les jours que l’Everest s’invite en Valais.

Vivement le 6 août prochain pour la cinquième édition et ses nouvelles péripéties !

Anaëlle Racine

Anaëlle s’est découvert sa véritable passion pour le vélo de route à 32 ans, en relevant le défi de participer à la Gruyère Cycling Tour contre un abonnement de ski. N’ayant pas de vélo, c’est son frère qui lui a prêté le sien pour commencer à s’entraîner. 3 semaines plus tard, elle achetait son premier vélo, et la grande histoire d’amour a commencé.
Installée en Valais Central, c’est sur Fribourg, avec le club ACC Corminboeuf dont elle fait partie, qu’elle a appris à rouler. Elle aime quand chacun participe à la réussite du groupe, apportant son énergie, sa contribution et sa sueur à chaque relais, assurant la sécurité de ses coéquipiers. Sa devise sur le vélo : souffrir avec le sourire.
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