Dead Ends e Dolci: vous reprendrez bien une part de dessert?

Photos: A Swiss With A Pulse

J’aime faire du vélo, partir à l’aventure, manger, boire et dormir. Vous connaissez l’expression : ride, eat, sleep, repeat… c’est moi ! Et si je peux le faire dans le contexte d’une course, c’est la motivation parfaite pour rester en forme et faire un truc vraiment difficile.

Mais lorsque je regarde la plupart des courses d’ultra inscrites au calendrier, d’immenses lumières rouges se mettent à clignoter dans mon cerveau de middle aged mum dotée d’un appétit démesuré pour l’aventure. Traverser des pays la tête baissée en essayant de garder un rythme décent pour parcourir plus de 300 km par jour, et ce jusque dans la nuit: non, ce n’est pas comme ça que je veux passer mon précieux temps libre.

A qui sont destinées ces courses? J’imagine des gars et de filles qui sont plus heureux sur leur vélo que dans la société, qui bivouaquent dans des abris de bus et qui engloutissent toute la nourriture qu’ils trouvent au cours de leurs efforts à travers des pays qu’ils voient ou pas selon l’heure à laquelle ils les traversent.

Et tant mieux pour eux. Il y a quelque chose de magnifique dans l’attitude HTFU (Harden The F**** Up) qui nous pousse à faire des choses incroyables. Je suis totalement impressionnée par les capacités physiques et mentales des athlètes qui participent à ces courses. Bravo !

HTFU, qu'ils disaient...

Le vélo est une source de calme

Mais la réalité, c’est que le mantra HTFU ne fonctionne plus pour moi. Je l’ai utilisée pendant la majeure partie de ma vie et j’ai ainsi réalisé de nombreuses choses extraordinaires. Mais aujourd’hui, après un burn-out et la prise de conscience que la méthode HTFU me détruit, j’ai adopté une nouvelle approche qui est essentielle à mon bien-être mental et physique. Je l’ai appelée CTFD: Calm The F**** Down.

Mon mari Alain et moi-même avons fait partie des chanceux sélectionnés pour participer à l’édition inaugurale de Dead Ends & Dolci, un événement qui s’est déroulé au Tessin en avril dernier. Le concept est simple : remonter des vallées sans issue (dead ends) et recevoir des desserts (dolci) en guise de récompense. Un événement similaire, Dead Ends & Cake, est organisé chaque année en juin dans le nord-est de la Suisse.

3 jours pour parcourir 500 km et 10’000 mètres de dénivelé: c’est difficile, mais pas misérable. Bien sûr, de nombreux participants ont terminé la course en moins de 24 heures. Pour notre part, nous faisions partie de ceux qui étaient là juste pour relever le défi de s’aventurer dans des vallées mystérieuses et de manger des douceurs. Nous avons roulé la tête hors du guidon, en profitant de la vue et avec la conscience de faire quelque chose qui sort de l’ordinaire. L’événement allie le travail acharné, l’aventure et le plaisir: c’est un excellent entraînement à ma nouvelle approche holistique de la vie.

Souriez, vous êtes filmée

Le départ

Il y a quelque chose de magique dans le fait de partir à l’aube. L’air est vif, le silence règne et les couleurs sur les montagnes semblent sortir d’un rêve d’artiste. Au départ du Castello Grande à Bellinzone à 6 heures du matin, il faisait frais mais pas froid, un changement bienvenu par rapport au printemps glacial que nous avons connu en Romandie.

Un départ sous conduite nous a mené sur les rives du fleuve Ticino, où la course a été officiellement lancée. Des dizaines de coureurs se sont alors frénétiquement élancés dans toutes les directions. D’une manière ou d’une autre, nous sommes tous restés sur nos vélos et sommes partis vers les premiers dolci.

Les check points

Pourquoi ce désordre? Il n’y a pas d’itinéraire obligatoire (sauf un bref secteur), ni d’ordre de passage pour atteindre chacun des 5 check points. Certains ont choisi leur parcours en fonction du vent, car celui-ci peut complètement changer de direction dans les longues vallées en fonction de l’heure de la journée. D’autres se sont dirigés vers le sud, pour chercher la chaleur. Pour notre part, nous sommes allés au nord vers le check point le plus élevé, afin de gravir la montée la plus difficile avec des jambes fraîches. Résultat: quelques heures après le départ, il y avait des points à travers tout le Tessin sur la carte qui permet de suivre la course sur le site de l’événement.

En direction du premier check point

Check point Somprei

Le Val Leventina est le moyen le plus rapide de relier le Tessin à la Suisse centrale par le célèbre col du Saint-Gothard et les lacets pavés de la Tremola. Heureusement, nous n’avons pas eu besoin de rouler aussi loin pour atteindre notre premier dessert.

Les 50 premiers kilomètres depuis Bellinzona étaient essentiellement des faux-plats avec quelques rampes. Et nous n’étions qu’à quelques centaines de mètres au-dessus de Faido, le début de la “vraie” montée, lorsque nous avons aperçu les premiers coureurs qui redescendaient déjà. Peu importe: les lacets parfaitement superposés en dessous d’Osco, un village situé à peu près à mi-pente, relevaient du pur switchback porn. Mon mari s’est mis à piquer des sprints furieux pour trouver des spots pour ses photos, tandis que je grimpais calmement et régulièrement vers le village.

"Le dessert était délicieux!"

Après Osco, c’est devenu plus difficile… environ 7 km de pente raide, presque toujours à plus de 10 %. Nous avions également froid, car le Tessin ne nous a pas offert la chaleur printanière que nous cherchions lorsque nous nous sommes inscrits à cet événement sur le versant sud des Alpes. Les 2 derniers kilomètres sont en gravels, ils sont toujours raides, avec de la neige pour ajouter un peu de piment. Disons que j’ai beaucoup poussé mon vélo dans cette montée ! Enfin, après ce qui nous a semblé être une éternité, nous avons atteint le point de contrôle et savouré notre premier dessert avant de redescendre en direction de la prochaine vallée.

Valle di Blenio

Le segment obligatoire dans la vallée de Blenio comportait un passage off road à travers un château en ruine, un élément touristique intéressant ajouté pour nous ralentir et nous faire mieux profiter du paysage. Et en effet, cette vallée était à couper le souffle. Nous avons choisi de parcourir le segment à la descente, car j’avais besoin d’une montée moins raide après le supplice de Somprei. En fin de compte, nous pensons que c’était la meilleure option car cela nous a permis de rouler davantage et de moins pousser les vélos. Le seul élément horriblement cruel du parcours obligatoire était qu’il n’y avait pas de check point, et donc pas dessert au sommet !

Visite des curiosités touristiques de la Valle di Blenio

Check point Braggio dans le Val Calanca

Cette vallée “oubliée” du canton des Grisons a été l’un des points forts de notre challenge. Nous sommes entrés dans ce paradis caché le soir de notre premier jour, après environ 180 km et avec plus de 3500 m de D+ dans les jambes. Trop épuisés pour continuer, nous nous sommes réfugiés dans un B&B extraordinaire à Arvigo, 700 mètres plus bas que le check point. Cette halte de luxe a sauvé ma course: le repas incroyable, la douche chaude et le lit confortable étaient exactement ce dont j’avais besoin pour récupérer et conquérir le check point le lendemain.

La pause ne m’a pas seulement aidé physiquement et émotionnellement, elle nous a permis de bénéficier d’une bonne météo et de la meilleure lumière pour découvrir cette incroyable vallée. Même si, au petit-déjeuner, j’ai consulté le classement et j’ai vu que plus d’une douzaine de coureurs avaient déjà terminé la course. Leurs temps étaient absolument incroyables et le niveau compétition était extrêmement élevé. OMG, étions-nous les seuls touristes ici ?

La montée vers Braggio dans le fabuleux Val Calanca

L’essence même de cet événement s’est rappelée à nous lorsque nous sommes arrivés au check point. Nous avons rencontré l’équipe de tournage, une paire avec un vélo cargo chargé d’un équipement incroyable pour documenter l’événement dans toute sa gloire. Ces gars sont devenus nos héros, nous rappelant que nous étions tous dans un bel endroit, avec des gens comme nous qui voulaient juste explorer les montagnes à vélo. Après avoir discuté avec eux et nous être congratulés, nous sommes redescendus, heureux comme jamais, pour continuer à avancer.

Check point Malcantone au Passo Monte Faeta

Nous avons décidé d’enchaîner avec les check points du sud: Malcantone et Scudellate. Nous nous sommes d’abord dirigés vers les collines de la région de Malcantone, uniquement parce que c’était plus proche et que nous voulions du dessert. En quelques heures seulement, nous sommes passés d’une vallée isolée avec quelques maisons en vieilles pierres et plus de moutons que d’habitants, à la riviera avec ses palmiers et ses énormes villas surplombant le lac de Lugano. Nous avons eu l’impression d’être transportés dans un autre monde à bord d’un vaisseau magique. Le contraste entre les régions du Tessin est époustouflant.

L’accès au check point situé au Passo Monte Faeta a représenté l’un de mes moments favoris. La montée était (relativement)  courte et le dernier kilomètre en gravel était super sympa. Au check point, il n’y avait rien d’autre qu’un groupe de bénévoles heureux avec des camping-cars et des tentes, de la musique et un feu de camp. C’était simple, discret et plein de joie. La dolce vita dans toute sa splendeur!

Surprise dans le Malcantone

Check point Scudellate dans la Valle di Muggio

Pour remonter la Valle di Muggio, il faut aller à l’extrémité sud de notre pays. Et traverser des localités avec une circulation dense et de nombreuses routes qui ne sont pas toujours adaptées au vélo. Mais malgré le chaos urbain, les rives du lac de Lugano sont magnifiques. Et à l’approche du soir, il nous a fallu toute notre volonté pour continuer à rouler vers le check point, alors que nous passions devant des dizaines de restaurants remplis de gens qui riaient, mangeaient et buvaient.

Dans la montée, nous avons rencontré une autre paire. Pendant quelques minutes, il y a même eu une petite course pour savoir qui arriverait le premier au sommet ! Cette petite poussée d’adrénaline était exactement ce dont j’avais besoin pour continuer à avancer dans la nuit et recevoir mon dessert. Et bien que nous ayons effectivement atteint le sommet en premier, l’autre paire était en avance car c’était leur dernier check point et il nous en restait un à conquérir !

Check point Vergeletto

Après avoir parcouru les parties nord, est et sud du Tessin, il était enfin temps de découvrir l’ouest. Pour y parvenir, nous avons longé la rive nord du lac Majeur, passé Locarno, puis remonté une autre vallée profonde et apparemment sans fin.

Une fois de plus, dans une autre partie du Tessin, nous avons été accueillis dans un monde entièrement nouveau, avec un climat complètement différent. La vallée d’Onsernone était si luxuriante et si verte que je croyais rouler sous les tropiques. Plus haut, nous avons bifurqué dans une vallée latérale appelée Valle di Vergeletto.

En route vers Vergeletto

Pour accéder à ce paradis oublié, il fallait traverser une gorge et grimper des lacets abrupts et spectaculaires. Une fois dans la vallée, j’ai eu l’impression d’être dans un endroit que je ne voulais jamais quitter. C’était magnifique, isolé, paisible… tout ce que les amoureux de la montagne considèrent comme l’endroit idéal pour s’installer pendant quelques jours, ou quelques années.

Malheureusement, nous sommes arrivés un peu trop tard et le pire de la tempête annoncée nous est tombé dessus à 5 kilomètres du sommet. Nous avons été applaudis par les bénévoles lorsque nous sommes arrivés sous le déluge, trempés jusqu’à la dernière couche de nos vêtements “imperméables”. Mais nous étions toujours de bonne humeur et prêts à manger notre dessert. Malheureusement, nous ne sommes pas restés longtemps, car nous voulions descendre avant que le froid ne s’installe trop profondément en nous. Mais c’est incontestablement un endroit où je reviendrai.

Une fin de montée humide vers Vergeletto

Le dernier dessert à Bellinzone

Jamais je n’ai roulé aussi longtemps sous une pluie d’une telle ampleur. Comment le ciel a-t-il pu déverser autant d’eau pendant des heures sans discontinuer? Cela semblait physiquement impossible. À certains moments, nous pensions que la pluie ne pourrait pas être plus forte, mais elle redoublait encore. Alors que nous roulions (ou nagions?) à travers des flaques d’eau si profondes qu’elles engloutissaient nos pédales, nous avons chanté et nous avons ri jusqu’à la ligne d’arrivée, où la finisher party nous attendait.

Nous n’étions pas les derniers en course, ce qui a été une agréable surprise. Nous sommes arrivés quelques secondes avant une autre paire, et environ une heure plus tard, les derniers concurrents sont finalement arrivée. Nous n’étions donc pas les seuls touristes sur le terrain. Et la quantité de soutien et d’encouragement que nous avons reçue à l’arrivée nous a rappelé l’esprit et la camaraderie qui règnent autour d’événements comme celui-ci. Quels que soient les objectifs personnels ou les motivations de chacun, il y a une place pour tout le monde.

Les chaussettes de Lillie ne sont quand même pas restées sèches et archisèches

Ce récit t’a donné envie de participer à Dead Ends e Dolci? Pour en savoir plus, voici le site internet de l’événement. En 2024, celui-ci aura lieu du 4 au 6 octobre, ce qui permettra de remonter encore plus haut dans les vallées. Attention, l’inscription au tirage au sort pour obtenir une place au départ ne sera ouverte que du 12 au 19 janvier!

Lillie Rumpf – Cycling Heidi

Lorsque Lillie est arrivée de la Californie du Sud en Suisse romande en 2008, elle a vécu un choc culturel. L’époque des sorties “fun” était révolue. Les Suisses prenaient leur sport au sérieux. Bien trop au sérieux. Sentant que cette attitude n’était pas de nature à encourager les débutants dans le monde du vélo, elle a décidé d’apporter un peu de fun californien. Elle a guidé pendant de nombreuses saisons la sortie “sociale” de The Bike à Lausanne (avant la naissance de son fils) et elle continue à organiser des sorties occasionnelles le week-end pour les femmes et les débutants dans la région lausannoise et les Alpes vaudoises où elle habite. Ses balades comprennent toujours des activités d’aventure, de formation et, bien sûr, des « burgers and beer ». Elle s’occupe également du contenu sur cycliste.ch. Contactez-la à lillie@cycliste.ch si vous souhaitez participer à ses aventures à vélo!