Le dernier tour d’honneur de Pierre

“Le vélo commence toujours par un miracle. Pendant des jours on tremble, on hésite, on se dit que jamais on ne se libérera de cette main qui nous guide sous la selle.

Mon père et ma mère se relayaient pour me tenir et, sans doute, tel ou tel cousins, celui ou celle dont j’avais hérité du petit vélo. Pour ma part c’était un vélo blanc avec une mousse jaune fluo sur le guidon marqué « BMX » sûrement acheté dans un Jumbo à l’époque.

On avait ôté les petites roues et j’empruntai la petite pente douce dans l’allée pour profiter de l’élan, je cherchais le point magique qui qui fait tenir debout quelque chose qui normalement devrai être couché, et je prenais des gamelles (déjà) et je remontais.

Et puis, un jour, je n’ai plus entendu le bruit des pas et de la course derrière moi, plus le souffle rythmé dans mon dos. Le miracle avait eu lieu! Je faisais du vélo!

J’aurai voulu ne jamais mettre pied à terre de peur que le miracle ne se reproduise plus.

Je fis le tour de la maison me prouvant ainsi que je pouvais prendre quatre virage à droite (pendant quelques semaine je préférais tourner à droite). Je passais en bolide le long du bouquet d’orties qui me faisait d’ordinaire si peur, et je revenais en triomphant, mais encore incapable de lever le bras en signe de victoire.

De ce miracle, je ne me suis jamais remis”.

Je pense que ne je suis de loin pas le seul à qui ces lignes de Paul Fournel peuvent parler. Le vélo est tellement simple quand on le voit mais il est difficile à dompter. Et une fois qu’on est dessus, on ne peut pas mesurer le bonheur qu’il nous apporte.

Ce bonheur, c’est Pierre qui me l’a apporté. Pour ceux qui me connaissent, je donne des petits noms à mes vélos (oui je sais Pierre pour un Lapierre c’est pas original… et alors?). Car Pierre a été le véritable premier.

Je n’ai pas appris à faire du vélo avec bien sûr, mais il m’a éduqué, et m’a fait comprendre que j’étais le seul responsable des limites que je pensais être mienne, et il m’a aidé, pendant des années, à les dépasser.

Mais voilà, Pierre n’est plus de la première jeunesse, avec à en tout cas pas loin de 3 tours de la terre à son compteur, et aujourd’hui, je constate que le poids des années affecte autant l’humain que la machine. Seule la passion n’est pas affectée par cela.

Comme je le dis tout le temps: « la première fois on s’en souvient toujours » (on peut appliquer cette phrase dans tout les contextes) et Pierre à été tout simplement le premier.

Je me souviens encore du jour où j’ai été le chercher, j’étais tellement excité. Dès les premières sorties, je m’amusais a taper des sprints en me disant qu’il allait trop bien, alors que j’ignorais totalement de la vitesse à laquelle je roulais étant donné que je n’avais pas de compteur. Mais rien que le bruit du vent dans mes oreilles me faisait comprendre que ça faisait du bien.

Avec Pierre, on a fait les 400 coups, et plus encore. Le nombre de moments de bonheurs, de découverte de cols et de lieux magiques, de rencontres incroyables, et de leçons de vie qu’il m’a apporté est tout juste incroyable, et cela sans jamais faillir (bon oui, une ou deux fois quand même…).

Mais toutes les bonnes choses ont une fin…

En effet, le poids des années marque, et les km aussi. Comme pour une personne âgée, tes roues (la deuxième paire) sont marquées des stigmates du freinage, les mêmes sillons que l’on peut voir sur un visage ridé, et qui font qu’aujourd’hui, il devient risqué de te rouler.

Comme un petit vieux, je dois te répéter qu’il faut éviter de prendre de la vitesse, car une fois lancé, tu peines à te freiner.

Tes articulations ne sont plus de première jeunesse, ton dérailleur ne sait plus sur quel pied danser, les dents du pédalier sont si émoussées qu’un nouveau dentier serait nécessaire, tes roulements sont capricieux, et des manettes qui peinent à transmettre l’info du cerveau aux organes concernés, comme si tu avais fait un AVC.

Et depuis notre accident, je vois que ta santé faiblit de jour en jour. La petite fissure que tu as eue au niveau du cadre grandit, comme une tumeur, et me fait comprendre que te remettre sur pieds sera trop compliqué à l’avenir, et qu’il faut savoir accepter que la page se tourne.

Pierre, même si je pouvais te remettre sur pieds, il m’aurait été impossible de te vendre tellement il y a quelques chose de sentimental avec toi, et je suis sûr que beaucoup de cyclistes qui liront ces lignes se sentiront concernés, car le premier vélo, c’est juste inexplicable.

Je te remercie du fond du cœur pour ce que tu m’as apporté pendant toutes ces années, on en a passé des moments incroyables, et ce n’est pas un adieu, mais un au revoir.

Certaines personnes âgées finissent dans un home, et toi tu pourras profiter d’une vie plus calme sur un home-trainer, là où tu pourras faire ce que tu veux, sans courir le moindre risque.

Tu as été lion sauvage, te voilà chat d’appartement.

Demain, je vais chercher ton successeur, un Merida reacto 5000 de 2020 qu’une personne n’a plus voulu, et que j’ai décidé d’adopter. J’en prendrai soin comme je l’ai fait avec toi, et je serai chaque jour reconnaissant qu’il puisse m’amener là où je veux, et me procurer le même bonheur que tu m’a apporté durant toutes ces années.

Au revoir Pierre, encore une fois Merci, tu as été le meilleur, et tu le resteras à mes yeux ♥️

Lucas Stifani

Vallorbier de naissance (personne n’est parfait !), mais expatrié chez les « Dzo » depuis 2017, c’est de vacherin fribourgeois, de meringue double-crème et de tour des Paccots que Lucas se nourrit. Ancien mordu de skateboard, c’est à la suite d’une sévère blessure aux chevilles qu’il s’est tourné en 2014 vers le vélo de route, où il entretient un amour profond pour ce sport.

Vélotafeur toute l’année (Châtel-st-Denis à Lausanne), et cycliste passionné aux heures perdues, Lucas est animé par un cyclisme simple, sans chichi ni fioriture, un cyclisme où on remercie chaque jour la beauté de la nature et le bonheur que procure par sa monture. Mais surtout où même la bière la plus dégueulasse peut se transformer en breuvage divin quand celle-ci est méritée après une sortie de vélo authentique entouré des meilleurs copains.

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