Les 8 Majorettes: le nouveau défi alpin

Ça n’aura échappé à personne, les épreuves d’(ultra)endurance gagnent en popularité ces derniers temps. Le savant mix de dépassement de soi et d’exploration attire plus que la performance pure, nez dans le guidon.

A côté des courses plus ou moins longues comme les ultrafondos, la SUCH, le Tour des Stations Ultimate ou la Transcontinental Race, il existe une série de challenges ouverts à toutes et tous, n’importe quand ou presque car les cols sont inaccessibles en hiver.

Ces défis incarnent encore plus cet état d’esprit d’aventure solitaire (ou non) où l’on se retrouve face à soi-même et où de nombreux paramètres prennent une importance énorme au-delà de la simple préparation physique. Ici, la préparation mentale, l’organisation du ravitaillement, la capacité à gérer des situations inattendues et souvent la résistance au manque de sommeil ont autant d’importance que des jambes bien entraînées.

Les amatrices et amateurs de ce type de longues balades, souvent en montagne, n’ont pas spécialement la même manière d’envisager ce genre de défi. C’est ce qui fait aussi leur charme, chacun.e pouvant trouver chaussure à son pied et définir le rythme qui lui convient, en pure dépassement de soi ou en croisière plus propice à la découverte, avec à la clef, un profond sentiment d’accomplissement et des souvenirs cyclistes inoubliables.

L’un des ces challenges les plus connus est “Les 7 Majeurs”, un itinéraire de 360km pour 12.000m de dénivelé en passant par les célèbres cols suivants : Vars (2108 m), Izoard (2360 m), Agnel (2744 m), Sampeyre (2284 m), Fauniera (2481m), Lombarde (2350 m), Bonette (2715 m). Les puristes tentent de le boucler en moins de 24h, sans assistance mais d’autres formats moins fous sont également possibles.

Avec des objectifs très variés (Embrunman et SUCH), ma saison 2022 s’annonçait plutôt insolite et je ne savais trop comment me préparer pour des objectifs sportifs si différents ayant lieu à trois semaines d’intervalle l’un de l’autre. L’idée de me lancer sur les 7 Majeurs trottait depuis longtemps dans ma tête et cela me semblait être une parfaite préparation à inscrire dans mon calendrier.

Seulement voilà, entre la vie de famille, le boulot et les autres objectifs de ma préparation, il était compliqué de trouver le temps de faire un A/R à Briançon pour s’enquiller quelques cols sans dormir. De plus, l’idée de faire deux fois 5h de voiture depuis le Valais pour rouler à vélo dans les montagnes me paraissait un soupçon absurde.

C’est là que je me suis dit: cela ne devrait pas être trop compliqué de tracer un itinéraire aux proportions similaires aux 7 Majeurs tout en restant à la maison ! Qui plus est, cela ne faisait pas si longtemps que je m’étais installé en Suisse (personne n’est parfait) et j’avais encore beaucoup de choses à découvrir.

Vue du Col de Furka depuis le Grimsel

N’ayant pas encore eu l’opportunité de faire un seul des grands cols, j’allais rapidement remédier à cette lacune et créer mon propre challenge! C’est donc par un beau lundi de juillet caniculaire que je me suis élancé d’Ulrichen. Le choix de partir à 10h du matin n’était surement pas le plus sensé mais je voulais absolument tester ma capacité à rouler toute une nuit en préparation pour la SUCH.

Furka et Susten facilement derrière moi, les choses commençaient à se corser vu les températures avoisinant les 40°C à Innertkirchen. J’espérais que prendre de l’altitude me refroidirait mais ce n’était que chimère… Peu après le grand barrage sous le Grimsel, c’est la surchauffe totale, insolation impeccable, vomito et jambes en mousses.

L’eau tiède de mes bidons ne suffit pas à me refroidir et il n’y a pas un pet d’ombre. Je suis donc forcé de me traîner jusqu’au col où je dévalise une buvette afin de regagner quelques forces et un peu de lucidité avant la longue descente jusqu’à Ulrichen où je m’effondre pour une bonne heure. Je ne vais quand même pas m’avouer vaincu après 3/8 ascensions !

Après un raid totalement irrationnel du Volg du coin, je repars fébrile pour le Nufenen déjà en grande partie à l’ombre puis le Gothard sans eau, toutes les fontaines étant à sec, dans les dernières lueurs du soir.

Les fameux lacets pavés de la Tremola

C’est parti pour ma première nuit complète en selle ! Enfin, pas tout à fait. D’abord un petit stop burger à Andermatt et une sieste digestive dans la gare de l’Oberalp. Les températures sont enfin agréables et les routes sont désertes. Je ne vois pas grand-chose du Lukmanier, hormis le cerf qui me surprend dans un tunnel à la descente. C’est pas passé loin.

Le faux-plat descendant jusqu’à Biasca n’en finit pas, autant que le faux-plat montant et ses quelques coups de cul piquants jusqu’à Airolo. Le jour commence à se lever et je suis une ruine absolue. Le dénivelé, la nuit blanche et l’insolation ont méthodiquement extrait tout le jus en moi.

Ça tombe bien, il ne reste que 23 km jusqu’au sommet du Nufenen, avec ses longues lignes droites déprimantes à 10% dans les derniers kilomètres avant le sommet. Comme il n’y a plus rien dans les jambes, il faut y aller uniquement avec la tête. Ça couine grave mais ça passe.

Je suis submergé d’émotions indescriptibles quand j’atteins enfin le col dans de belles lueurs matinales et que j’ai la certitude de boucler l’affaire en un peu plus de 23h. Plus qu’à se laisser descendre, prudemment vu la fatigue. Premier défi de 24h réussi, tout est permis pour compenser les calories perdues.

370km, 10’000 mètres de D+ avec Furka, Susten, Grimsel, Nufenen, Gotthard, Oberalp, Lukmanier et Nufenen: 7+1 d’un coup dans la besace !

Je ne pouvais garder cette superbe trace pour moi: les 8 Majorettes sont nées. Avec ou sans assistance, en moins de 24h, 48h ou peu importe le nombre de jours, vous ne serez pas déçus: retrouvez toutes les infos sur le site des 8 Majorettes et n’hésitez pas à partager votre expérience sur Instagram (@8majorettes) et Facebook.

Maintenant, la Suisse aussi peut proposer un challenge hors norme pour découvrir ou redécouvrir des cols mythiques ainsi que des zones inconnues en tout un chacun.e.

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Tom de Wilde

Ayant grandi en Belgique, le vélo à toujours fait partie de son quotidien. D’abord en single speed dans le trafic fou de Bruxelles ce n’est qu’en 2015 que Tom se met à proprement parler au vélo de route avec le triathlon. Après avoir vécu et voyagé en NZ et au Canada, Tom se lance en 2019 pour son premier trip gravel et bikepacking : une traversée nord-sud des amériques, off-road tant que possible et avec des sections de plusieurs centaines de kilomètres à pieds, pourquoi faire les choses à moitié ? Interrompu à mi-chemin au Guatemala par la pandémie, les surprises de la vie le mènent en Suisse où il partage son expérience et sa passion du vélo aventure/performance/utilitaire en travaillant chez Ciclissimo Chablais. Entre expéditions gravel, ironman de montagne, courses ultra distances bikepacking et vélotaf, son rêve est de trouver le graal du vélo qui fait tout parfaitement.