Un voyage au long cours procure son lot de surprises et de sensations uniques. L’une d’entre elles est le changement de paysage, d’ambiance, de culture qui s’opère sans crier gare, un coup de pédale après l’autre.
La première transition non négligeable fut le passage de la frontière entre la France et l’Espagne par un magnifique petit col interdit au trafic, asphalté à la montée, gravel à la descente. D’un coup, tout change et me voilà en Catalogne, dans un climat bien plus clément, parcourant des pistes grandioses le longs de réservoirs, sillonnant des petites montagnes verdoyantes et traversant plusieurs villes au charme historique et culinaire bien marqué avec notamment un détour “obligatoire” par Gérone et ses nombreux cafés cyclistes.
Restant à bonne distance de la côte, les montagnes deviennent plus prononcées et le paysage plus sec tandis que je prends de l’altitude en Aragon vers une zone surnommée la “Laponie espagnole” pour ses extrêmes de température et sa très faible densité de population. Les vues sont grandioses mais le climat n’est pas toujours évident à gérer pour le cycliste en ce mois de décembre…
Heureusement, un petit détour par les merveilleux canyons orangés de l’arrière-pays de la région de Valence me permet de me réchauffer avant la traversée des hautes plaines plates et désolées de la Castille où les vignes mortes et les élevages de cochons qui ressemblent à des camp de concentration se perdent dans un horizon brun totalement dénué de la moindre goutte d’eau. Sans crier gare, à la sortie d’une étroite et sinueuse vallée, me voilà de retour dans des vallées enchanteresses avec des ascensions qui me font alimenter les rivières tellement je transpire et des vues panoramiques à couper le souffle.
Après l’une de ces montées pas piquées des vers, je me retrouve sur un nouveau haut plateau vallonné, reculé, grandiose et traversé de pistes sans égales. Bienvenue dans la petite Mongolie Espagnole. De là, je redescends à travers de nouveaux canyons orangés parsemés de forêts de pins qui m’emmènent, après une dernier détour par le désert de Gorafe et ses alentours, dans les plaines pas plates pour un sou de l’Andalousie, une oliveraie géante en pleine récolte. Et hop sans m’en rendre compte j’ai quitté mes amis à Narbonne et je me retrouve à Cordoue!
Tout du long, j’ai grosso-modo suivit l’itinéraire du European Divide Trail avec un ratio très élevé de off-road ce qui n’est pas pour me déplaire! Les chemins 4×4 caillouteux du sud de la France ont laissé la place à un incroyable réseau de très bonnes routes gravel et de via verde, anciennes lignes ferroviaires réhabilitées en voies cyclables généralement non asphaltées. Les passages sur le bitume sont à 99% des routes scéniques sans la moindre voiture qui procurent l’heureuse sensation d’avancer vraiment pendant quelques kilomètres.
Cependant… il y a beaucoup de montées très raides et trop cabossées qui forcent à pousser le vélo, quelques chemins qui font passer au shaker et une jolie dose de hike-a-bike plutôt cocasses avec un vélo chargé. La plupart de ces sections se font rapidement oublier grâce aux routes gravel orgasmiques qui suivent, surtout si le tout est baigné dans la lueur d’un coucher de soleil haut en couleurs. Dans un autre style, je me suis également retrouvé à pousser dans un mix de cailloux et d’argile super collant en pleine tempête de grêle et de neige fondante à des dizaines de kilomètres de la moindre présence humaine. Les surprises du voyage au long cours.
N’ayant rien préparé d’avance, la logistique du quotidien ainsi que l’étude de la trace pour calculer les resupply en nourriture et en eau prend parfois beaucoup de place, tant dans la tête que dans les journées les plus courtes de l’année. D’un autre côté, la chance de n’avoir nulle part de précis où aller c’est qu’on peut aller n’importe où, ouvrant la porte à des re-route spontanés suite à une discussion avec un cycliste local, parce la météo est trop capricieuse, l’itinéraire de base trop foireux ou parce que des amis sont dans le coin pour faire de l’escalade, à une petite centaine de kilomètres seulement. En plus, c’est la motivation parfaite pour lâcher le vélo quelques jours et montrer à ces grimpeurs de quels bois se chauffent mes gros bras de cycliste!
Le vélo est mis à rude épreuve, surtout la gomme. Je n’ose même pas imaginer ce que ce serait sans tubeless! Sur un itinéraire conçu à la base par un vététiste, mes pneus de 45mm me semblent bien étroits et minimalistes, surtout quand je me retrouve à devoir les recoudre au fil dentaire parce que les trous sont trop gros pour les mèches (quasi mille km avec la suture!).
Le corps ramasse pas mal aussi et le froid n’aide pas. Si vous aussi vous avez cet ami cycliste qui vous vante la chaleur de l’hiver espagnol pour rouler, prenez garde, c’est un menteur! Enfin je suppose que ca dépend où… en tout cas dans les montagnes il fait bien froid, froid comme en dessous de zéro presque toutes les nuits et un réveil par -8°C. Je peux officiellement dire que je suis totalement givré! Pendant deux semaines le froid était accompagné d’un gros vent glacial qui ne donnait pas envie de s’arrêter, même pour se faire un petit café. Le reste du temps, le différentiel de températures est assez impressionnant avec les nuits qui gèlent et le froid qui s’attarde jusqu’à midi puis le mercure qui montent en flèche pour dépasser la quinzaine de degré l’après-midi, moment où je me transforme en lézard avec un penchant manouche qui tente de se réchauffer tout en étalant toutes ses affaires pour qu’elles sèchent.
Afin d’éviter au maximum l’humidité de la nuit, j’essaye de dormir le moins possible sous la tente et de trouver des endroits plus ou moins couverts comme des chapelles, des porches d’églises ou d’hôtel fermés pour l’hiver, des cabanes, des anciens lavoirs ou des fermes et vestiaires de terrain de foot abandonnés.
Grâce au réseau warmshowers, j’ai aussi eu l’occasion d’être hébergé chez l’habitant – une seule fois. J’ai bien tenté l’une ou l’autre fois de demander l’hospitalité d’un garage ou d’une remise mais sans succès. Malgré mon espagnol pas trop rouillé, les contacts avec les locaux sont assez maigres et mes sourires et mes holà! me sont rarement retournés, même quand je suis déguisé en Rennes de Noël avec un gros nez rouge qui clignote.
On ne se sent pas trop bienvenus quand on entre dans un café pour se réchauffer le matin vers 9h30 et que tout le monde te dévisage sans te saluer. C’est peut être parce que je n’attaque pas au rouge mais préfère une boisson chaude ou bien que je n’ai pas le nombre de décibels minimum requis, ou peut être que ma trace crème solaire pas bien étalée sur le bout du nez impressionne?
En tout cas, les réconforts gastronomiques et calorifiques ne manquent pas. Il y en a même trop et je ne peux m’empêcher de constamment craquer, en me justifiant que j’ai bien besoin de cet apport énergétique pour passer le froid. Les jours de pause, au delà de la douche et de la lessive, je mange beaucoup trop de sucres et ne fait pas du tout assez de stretch, ce qui ne réussit pas trop a mon genou toujours blessé qui commence à saturer. Il est grand temps pour une première véritable pause dans ce périple. Après un mois et demi de méditation solitaire en pédalant, je change mon fusil d’épaule pour dix jours et tente l’expérience Vipassana, de la méditation intensive, immobile et en silence. Je ne vais plus pouvoir parler à Kevin… et j’aurai sans doute hâte de pédaler vers de nouvelles aventures!
Tom de Wilde
Ayant grandi en Belgique, le vélo à toujours fait partie de son quotidien. D’abord en single speed dans le trafic fou de Bruxelles ce n’est qu’en 2015 que Tom se met à proprement parler au vélo de route avec le triathlon. Après avoir vécu et voyagé en NZ et au Canada, Tom se lance en 2019 pour son premier trip gravel et bikepacking : une traversée nord-sud des amériques, off-road tant que possible et avec des sections de plusieurs centaines de kilomètres à pieds, pourquoi faire les choses à moitié ? Interrompu à mi-chemin au Guatemala par la pandémie, les surprises de la vie le mènent en Suisse où il partage son expérience et sa passion du vélo aventure/performance/utilitaire en travaillant chez Ciclissimo Chablais. Entre expéditions gravel, ironman de montagne, courses ultra distances bikepacking et vélotaf, son rêve est de trouver le graal du vélo qui fait tout parfaitement.