Race Across France : la victoire ne se trouve pas toujours sur la ligne d’arrivée (2/2)

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Après avoir sué tout l’hiver et le printemps, autant sur la route par tous les temps que dans notre salle de Crossfit, nous nous sommes donc présentés à 21h15 devant l’estrade de départ confiants, un peu stressés mais tellement motivés. Les doutes des semaines précédentes avaient laissé leur place à l’excitation. La même qui nous a fait nous inscrire, la même qui nous fait remonter à chaque fois en selle. La préparation avait été accomplie, il ne nous restait qu’à faire ce qu’on savait désormais plutôt bien faire : pédaler.

Malgré l’excitation, les premiers kilomètres se font la boule au ventre. Mais celle-ci se dissipe vite grâce à la beauté du paysage que l’on distingue encore un peu (les gorges du Vercors à la tombée de la nuit) et la bienveillance des participants qui nous saluent et prennent de nos nouvelles ou nous encouragent à chaque dépassement.

Car oui, nous nous sommes fait énormément dépasser pendant ces premières heures. Mais forts de ce qu’on avait beaucoup entendu dans des récits, nous n’avons pas changé notre rythme qui était le nôtre et qui nous ferait durer sur la longueur. (Nous dépasserons d’ailleurs certaines de ces mêmes personnes pendant la nuit ou le lendemain. Donc meilleur des conseils : chacun son rythme.)

Et oui aussi, comme nous l’avions entendu dans un podcast, ici il n’y a pas de concurrents mais uniquement des compagnons de galère.

La première nuit se passe plutôt bien et le soleil se lève alors que nous franchissons un petit col. Les premières lueurs du jour éclairent les champs de lavande, les cigales se réveillent et le Mont Ventoux se dresse à l’horizon. Nous nous retrouvons plus ou moins rapidement à son pied, à Malaucène. Après 180 km et une nuit blanche dans les pattes, le Géant de Provence que nous rencontrons pour la première fois ne trahit pas sa réputation et ne nous laissera pas repartir indifférents. Pour la première fois, nous pousserons dans un col. Mais comme le vélo nous l’a si bien enseigné depuis ces quelques mois, il y a des premières fois à tout et aucunement besoin de les cacher. Comme d’autres cols par le passé, celui-ci nous a mis à rude épreuve mais nous nous retrouvons victorieux et plus forts à son sommet. La vue imprenable sur la région et la fierté d’y être arrivés en valent la peine, la vraie.

Une autre course de vélo s’arrêtant là et la cohue qui en résulte nous empêche de trouver le panneau pour y faire la traditionnelle photo souvenir. Peu importe, la victoire est ailleurs et une fois de plus, le chemin a encore été plus beau que le but.

Après s’être ravitaillés dans l’unique « base de vie » de notre course au KM 240 et sous une chaleur de plomb, nous poursuivons notre épopée vers les gorges de la Nesque. Arrivés dans celles-ci en fin d’après-midi, nous essayons d’en sortir indemnes tant bien que mal. Les vocaux de nos proches, amusants et touchants, ainsi que les lieux, si naturels, peu fréquentés et brutalement beaux suffisent à peine à remonter le moral des troupes pourtant si facilement émerveillées par un « rien » en temps normal. Mais peu de choses sont justement « normales » ces dernières 24 heures. Depuis la nuit dernière, nous touchons de près à ce qui doit être l’un des paramètres les plus présents dans une épreuve de longue distance mais si peu perceptible tant qu’on n’y est pas confronté : le yo-yo des émotions. A l’image des courbes de notre itinéraire, notre mental fait des hauts et des bas d’une différence de dénivelé à en faire pâlir l’Iseran. Tels des équilibristes, il faut faire face à ces changements d’humeur avec optimisme et tenir le cap.

L’avantage du nombre, nous avait jusqu’ici toujours permis de relever l’autre quand un allait moins bien. Mais cette fois, c’est notre duo qui est simultanément touché et ce foutu coup de mou a bien décidé de s’installer. Les raisons de notre présence dans ces gorges sont de moins en moins évidentes à trouver. Alors à l’image de leur profondeur, nous allons chercher en nous l’énergie nécessaire pour continuer de pédaler et d’y croire. Rien n’est joué, on ne laissera pas tomber !

La deuxième soirée est entamée. L’énergie, même si très instable, a fait son retour il y a plusieurs kilomètres déjà. Nous décidons de nous octroyer un arrêt sieste et casse-croûte avant la tombée de la nuit au KM 300. Couchés dans l’herbe et bercés par la musique lointaine de la fête Country du village, des fourmis nous sortent plus tôt que prévu de notre somnolence. Note à nous-mêmes et pour plus tard : rien de mieux qu’un bon vieux macadam encore chaud. Nous avalons un morceau de pain, un peu de jambon, enfilons brassières et jambières et partons pour cette deuxième et dernière nuit.

L’avancé dans la pénombre se fait péniblement. Les montées sont cassantes et les descentes s’apparentent plutôt à des faux plats peu roulants. Nous sommes lents, nous faisons de petites pauses mais nous avançons toujours. 
La rencontre et les échanges avec un sympathique participant belge ravivent des braises mais le feu à de la peine à reprendre. Notre prochain objectif ? Le McDonald’s de Manosque au KM 350. Notre plan A avait été de repérer un Flunch mais nous nous sommes vite rendus à l’évidence que notre arrivée ne se ferait pas avant la fermeture de ce dernier. Nous avions donc opté pour ce bon vieux fast food en solution de replis. Peu importe l’image qu’on en a, la simple idée de manger quelque chose de chaud et de boire un coca nous faisait tourner les jambes et donnait du sens à notre déplacement.

Sauf que, il faudrait toujours avoir un plan C.

Peu de temps avant Manosque, Fiona décide de checker l’adresse sur Internet pour se donner un dernier élan de motivation et saliver à l’idée de boire son coca, et là surprise, déception et coup de massue : le McDo ferme déjà à 23h. (Même au Jura ils ouvrent plus tard !) Nous n’arriverons pas à temps. Adieu St. Graal de coca, adieu nuggets, adieu semblant de nourriture chaude.

Notre mental déjà fragile a pris un sacré coup. Nous aurions dû savoir nous relever mais le manque de sommeil nous fait perdre de la lucidité et nous empêche de trouver des solutions rationnelles à un problème qui pourrait ne pas en être un.

Nous finissons par arriver à Manosque. L’attaque de fatigue que nous subissons est bien plus présente que la faim et nous faisons l’erreur de ne pas prendre une pizza dans un automate que nous croisons pour plutôt aller dormir. Tous les bancs à l’entrée de la ville sont déjà occupés par des participants que nous envions fortement. Quelques kilomètres plus loin, nous errons littéralement dans la zone commerciale de la ville pour trouver un endroit où se poser. Nos critères sont pourtant bas et même là il est difficile de faire un choix. Nous finissons par porter notre dévolu sur les places de parc de recharge de voitures électriques d’un Lidl. Emmitouflés dans nos doudounes, on se couche côte à côte sur le sol et décidons de faire le point après au moins 30 minutes de sommeil.

Une heure plus tard, toujours sur le même parking, toujours au KM 350, une prise de décision s’impose à nous. Optimistes que nous sommes nous pensons à la beauté du lever du soleil qui se fera dans quelques heures, à tous nos proches qui croient en nous et qui nous ont soutenu, à ces envies profondes qui nous ont menés jusqu’ici mais aussi à ce plaisir qui a complètement disparu depuis plusieurs heures déjà.

Il reste beaucoup de dénivelé (3000 m. environ) pour une centaine de km. Continuer de pédaler est possible mais arriver jusqu’au bout est présomptueux au regard de notre état. Les jambes sont très fatiguées, les fesses sont (trop) douloureuses à chaque changement de position. Notre arrivée sera dans tous les cas hors délai mais c’est presque un détail. Un problème se trouve plus loin : abandonner dans quelques kilomètres, au milieu de rien, sans voiture balais, pourrait logistiquement rendre notre aventure très désagréable et la finirait sur une mauvaise note.

Après une deuxième sieste (durant laquelle Bryan se réveillera en croyant faire un mauvais rêve et se rendormit espérant se retrouver dans son lit), la raison s’impose à nous : Aix-en-Provence semble être le meilleur compromis. Encore 50 km à pédaler et 1h30 de voiture pour les parents de Bryan pour venir nous chercher contre plus de 3h si on décide de continuer et s’arrêter au milieu des gorges du Verdon. Notre choix est fait, douloureux, difficile mais réfléchi. L’appel à l’orga est passé. Nous ne sommes plus dans la course.

Par moment, il serait bon de ressentir toutes ces difficultés présentes à l’instant T pour se remémorer que le choix qui a été fait a été le bon. Plus le temps passe, plus on se sent bien, plus on refait le scénario dans nos têtes pour grappiller quelques minutes ci et là et se dire qu’on en était capables. Mais la réalité était bien celle de ce dimanche 26 juin 05h16 et non de ces corps reposés et en forme qui écrivent ces lignes.

KM 404, on arrive à Aix sous une chaleur de plomb (alors qu’il n’est que 8h du matin). Le soleil et les 400 m. de D+ qui nous séparaient de notre point d’arrivée nous font nous (re)dire qu’on a pris la bonne décision. Un peu hagards mais contents, on attendra nos sauveurs dans une boulangerie. Déplacement jusqu’à Mandelieu-la-Napoule sur le balcon d’arrivée face à la mer (cette même mer qui n’avait jamais cessée d’être notre objectif et notre motivation durant la course), rendre notre balise GPS grâce à laquelle nos proches ont pu nous suivre à distance, récupérer nos affaires. Pas de visage connu au village d’arrivée. Nous rêvions de revoir les rencontres que nous avions faites au départ, pour les entendre nous raconter leur aventure, pour les féliciter et leur dire à bientôt. Tout ça se fera finalement sur Instagram.

Il n’est pas facile d’être entourés de personnes fêtant leur réussite (même si rien ne sert de se comparer, et qu’ils ont notre plus grande admiration). Revoir des coéquipiers avec qui on avait tissé des liens aurait adouci le tout. Partons vite d’ici. Vivement se brosser les dents, vivement une douche, vivement de dormir un peu plus et assimiler tout ce qui vient de se passer.

Une nuit plus tard, nous avons déjà bien récupéré. C’est d’ailleurs incroyable la vitesse à laquelle notre corps est capable de récupérer et cela autant sur une nuit de 8-10 heures de sommeil qu’une bonne sieste de 10-15 minutes.

Une semaine de vacances balnéaires plus tard, tout va pour le mieux. On fait des plans sur nos vacances de septembre, on s’intéresse à d’autres courses longues distances.

Pour conclure, nous réitérerions cette aventure sans hésiter. Donc si on ose vous donner un conseil, osez ! Si vous aussi, vous sentez qu’un projet vous fait profondément vibrer, on ne peut que vous recommander de mettre l’énergie nécessaire pour le réaliser. Peu importe où ils vous mènera, vous en ressortirez toujours plus forts et gagnants.

Fiona & Bryan

Fiona et Bryan ont décidé de se lancer pour leur premier séjour à vélo en 2019. Toute la logistique avait (presque) été réfléchie jusqu’aux moindres détails mais c’était sans compter l’arrivée d’une insolation et de gros orages. Sans trousse médicale et sans vêtements de pluie, ils ont écourté leur séjour au bout de deux jours et sont rentrés avec la paradoxale envie de recommencer.

Depuis l’été 2020 toutes leurs vacances se sont faites à vélo, à sillonner les différents itinéraires nationaux. Toujours plus assoiffés par les km, le dénivelé et les paysages, ils décident d’acquérir chacun un vélo de route en 2021. C’est le coup de foudre et les itinéraires d’un ou plusieurs jours dans leur Jura et ailleurs s’enchaînent. Le plus grand voyage en date est un Genève – Barcelone. Leur passion pour le cyclisme grandit en même temps que leur couple et ils ne sont pas prêts de lâcher ni l’un, ni l’autre mais bien de vous en faire partager ici, sur leur compte Instagram @lebruitdugravier et sur leur site lebruitdugravier.ch.