Granguanche Audax Gravel : les Canaries autrement (2/2)

© Mateo Minelli

Le GranGuanche Audax Gravel est une course tout-terrain de 700 km et 16 000 m de D+ répartie sur 5 îles des Canaries reliées par 4 ferries. Linda y a participé en binôme avec son mari Philippe Béchet. Voici la deuxième partie de son récit sur leur première course ultra. Pour la première partie, voir ici.

Écrit en anglais par Linda Farczadi. Traduction: cycliste.ch

Le test final : El Hierro

J’ai décidé de laisser les sensations physiques définir notre décision : de toute façon, nous devions commencer par une montée de 12 km vers la capitale de Valverde, où nous déciderions de nous arrêter à la chambre d’hôtel que nous avions réservée la veille ou de continuer.

A la sortie du ferry, nous nous sommes rapidement installés dans un bon rythme avec deux autres coureurs qui avaient tenté le rythme audax mais avaient manqué le dernier ferry : Ingo, un sympathique coureur débutant comme nous, d’Allemagne, et Jana, la leader féminine. Je ne sais pas si c’était à cause de l’excitation de leur compagnie, du fait que c’était la dernière île et que la fin était en vue, ou de la bonne pizza et de la nourriture du ferry que je venais de m’enfiler, mais mes jambes se sentaient en or et la première montée s’est faite sans effort. Jana m’a demandé comment je m’en sortais, et j’ai répondu “en ce moment, c’est fantastique, mais voyons combien de temps cela va durer”. Alors que nous dépassions en sprintant l’hôtel que nous avions réservé, nous avions l’impression de voler. Le temps était chaud, les jambes étaient bonnes et il restait moins de 100 km à parcourir. Comment cela pourrait-il mal tourner ?

Après quelques descentes de gravel délicates et une section près de l’océan qui, j’en suis sûr, aurait été fantastique à la lumière du jour, nous avons entamé la deuxième grande montée de la nuit. Mon Garmin annonçait 24,6 km. Juste au début de la montée, je me suis arrêtée pour enlever ma veste Goretex et laisser Jana continuer seule devant nous. Mon énergie baissait un peu, mais pas de quoi paniquer à ce stade. Il ne restait plus qu’une seule montée, je me suis dit, allons-y doucement, un lacet à la fois.

Au fur et à mesure que nous grimpions, le vent devenait de plus en plus fort, avec parfois des rafales si fortes que je devais me battre pour rester sur le vélo. Les kilomètres défilaient très lentement et la tentation de m’arrêter et de m’allonger sur le bord de la route (seulement pour une minute comme je le disais à Philippe) était très forte. Mais Philippe n’a pas approuvé ma suggestion et nous avons continué à avancer, lentement.

À un moment donné, nous avons quitté la route goudronnée pour un chemin de gravel et nous nous sommes retrouvés au milieu d’une tempête que nous n’attendions pas au sommet de ces montagnes. Les choses sont rapidement allées de mal en pis: vents forts, pluie froide et visibilité absolument nulle. Souvent, nous ne pouvions pas dire où le chemin de gravel se transformait en sable profond ou en sections rocheuses. La pluie est passée de légère à forte et à ce moment-là, je portais tous les habits que j’avais avec moi. Veste en duvet, veste en goretex, genouillères, pantalon en goretex, buff, capuche et gants longs. Il n’a pas fallu longtemps avant que tout soit complètement trempé. S’arrêter n’était plus une option. Nous devions continuer à avancer pour rester au chaud et descendre le plus vite possible.

Je n’avais pas beaucoup de pensées à ce moment-là. Il fallait juste que ce soit fait. J’ai pensé quelques fois à Jana qui luttait dans les mêmes conditions devant nous, et aux coureurs derrière. Bien que nous n’ayons croisé personne d’autre, j’ai tiré de la force du fait de savoir que d’autres personnes traversaient les mêmes conditions.

Après ce qui nous a semblé être une éternité, nous avons finalement atteint la ligne d’arrivée dans une ambiance décevante. À part un coureur solitaire qui venait de terminer avant nous, il n’y avait pas une seule âme en vue dans le petit village de pêcheurs à l’arrivée. Les tout premiers rayons de lumière ont commencé à apparaître à l’horizon, et c’était le calme plat.

Notre aventure à la Granguanche était terminée, nous avons fini troisième équipe duo, dans le top 15 du classement général et j’étais la deuxième femme à franchir la ligne pour moi, à 6h54 le mercredi matin après 3 jours 8 heures et 54 minutes de course. Ne sachant que faire, nous sommes remontés sur nos vélos, encore trempés, pour pédaler jusqu’au port dans l’espoir de trouver un endroit chaud où nous attendrions le ferry pour rentrer à Tenerife.

© Mateo Minelli

Réflexions après la course

Dans l’ensemble, je suis vraiment satisfaite de la façon dont cette course s’est déroulée pour nous. Juste quand je pensais que ça devenait trop facile, elle nous a joué un dernier tour qui nous a fait utiliser toute la résolution que nous avions pour continuer et y arriver. C’est bon de savoir que lorsque les choses deviennent difficiles, je peux toujours finir ce que j’ai entrepris.

Pourquoi une course ?

Avant la course, un ami m’a demandé pourquoi nous avions choisi de participer à un événement qui est une course, plutôt que de faire le parcours séparément comme une aventure de bikepacking sans pression du temps. J’ai beaucoup réfléchi à cette question pendant les nombreuses heures passées sur la selle. Pour moi, la réponse est double : tout d’abord, participer à ce type d’événement organisé me permet de rencontrer tant de personnes formidables que je n’aurais jamais croisées autrement. Depuis les nombreuses discussions sur les ferries, jusqu’aux sorties avant et après la course, en passant par la camaraderie sur la route, je peux vraiment dire que nous nous sommes fait des amis ici et j’espère en revoir beaucoup.

Deuxièmement, l’aspect course signifie que tout le monde se pousse à faire de son mieux, et cette énergie est indéniable. C’est ce qui m’a poussé à continuer dans les moments difficiles, en sachant que tous ces autres points avançaient en se battant dans les mêmes conditions que moi. Je crois vraiment que cela m’a aussi aidé à réaliser des choses que je ne pensais pas possibles auparavant. Par exemple, j’ai décidé de parcourir la dernière île de nuit.

Bien sûr, une course comme celle-ci n’est pas des vacances, mais pour moi, c’était la combinaison parfaite pour explorer des paysages magnifiques, partager l’expérience avec d’autres cyclistes passionnés, et repousser mes limites physiques tout en travaillant ma force mentale.

Et malgré un peu moins de 4 jours de course, la coupure avec la vie quotidienne était si importante que j’ai eu l’impression d’être partie beaucoup plus longtemps. Vous vous engagez pleinement, mentalement et physiquement, dans cette expérience, ce qui, à mon avis, est une excellente façon de rompre avec la routine de la vie quotidienne.

© Mateo Minelli

Rouler en duo

La décision de rouler en duo avec mon mari Philippe est venue assez naturellement. Nous faisons toujours toutes nos aventures à vélo ensemble, et il m’a semblé naturel d’essayer quelque chose en équipe.

La configuration n’était certainement pas équilibrée : Philippe est plus rapide que moi, en montée, en descente et partout ailleurs. Notre stratégie était donc assez simple : il roulait devant en permanence, s’occupait de la navigation, du ravitaillement et transportait tous les outils nécessaires à la réparation de tout problème mécanique en cours de route.

Les avantages pour moi étaient nombreux : je pouvais concentrer toute mon énergie mentale à le suivre, m’abriter derrière lui sur les sections plates et gérer mon propre rythme dans les montées.

Cependant, le fait d’être toujours le coureur le plus faible et d’avoir l’impression d’être toujours pressée tout au long des 5 îles est également difficile mentalement. Il est difficile d’avoir l’impression de bien faire quand on est toujours derrière. Je suis sûr que du point de vue de Philippe, être le coureur le plus fort peut aussi être frustrant.

Malgré les défis, c’est une décision que nous avons prise ensemble de rouler en duo pour notre première course et nous avons apprécié de vivre les bons et les mauvais moments ensemble, d’avoir la compagnie de l’autre sur laquelle s’appuyer. C’est une expérience qui rapproche définitivement deux personnes, un sentiment que nous avons partagé avec les autres équipes en duo que nous avons rencontrées.

Nous étions particulièrement fiers de nous classer en troisième position, étant donné que nous étions la seule équipe mixte dans un peloton d’hommes. Pour nous, c’était définitivement une expérience spéciale, mais qui sait, peut-être que la prochaine fois nous tenterons l’expérience en solo.

Ma configuration

  • Open WI.DE avec Shimano GRX 1X (40T et 11-50 Garbaruk)
  • Roues Zipp 303 Firecrest
  • Pneus Schwalbe G-ONE ALLROUND 40mm
  • Sac de selle Apidura Racing 7L (veste en duvet Patagonia, pantalon goretex, couche de base merino supplémentaire pour dormir, chambre à air, lingettes pour bébé, brosse à dents)
  • Apidura Racing Frame Bag 4L (manchettes, genouillères, veste goretex, batterie externe, câbles de recharge)
  • Apidura Racing Bolt-on Top Tube Bag (téléphone, portefeuille, nourriture)
  • Apidura Backcountry Food Pouch (Haribo et mélange de noix)
  • Bidons 1×550 et 1×750 (pas assez si on roule en solo, mais Philippe avait 2.5L)
  • Navigation : Garmin 530
  • Eclairage : Exposure (avant, casque et arrière)
  • Pas de système de couchage
  • Pompe et outils sur le vélo de Philippe

Linda Farczadi

Linda explore la Suisse à vélo depuis qu’elle a quitté le Canada pour venir s’installer ici en 2015. Mathématicienne de formation, Linda est d’abord venue à Lausanne pour un poste de recherche à l’EPFL. Elle a fait ses débuts dans le cyclisme sur route avec le Lavaux Cycling Team et a participé à plusieurs courses sur route amateurs en remportant la Haute Route Alpes en 2019. Aujourd’hui, on la retrouve surtout sur son vélo de gravel pour explorer de nouveaux horizons aux côtés de son mari Philippe. Elle cherche à rencontrer d’autres passionnés de cyclisme et à entrer en contact avec la communauté du cyclisme d’aventure au sens large.
Suivez Linda sur Instagram: @lindafarczadi