L’homme qui valait 40’000 francs

Dans le cyclisme de haut niveau (mais aussi dans d’autres sports), la hauteur du talent ne s’est jamais limitée aux performances brutes comme la vitesse, le temps, ou encore la puissance. Il y a toujours une histoire de gros sous dans les coulisses que le spectateur ne voit pas.

CHF 40’000.- c’est une somme certes, avec ça aujourd’hui on peut s’offrir une VW Golf relativement bien équipée ou 2 colnago C68 road Ti pour ceux qui ont compris le sens de la vie.

Imaginez proposer cette somme au lauréat de Paris-Roubaix 1968 pour le motiver à participer à votre événement de cyclisme en tant que tête d’affiche: cela semble bien peu, mais pour le Tour de Romandie de l’époque, c’était une coquette somme! Voilà l’une des anecdotes dévoilées par le livre “Merckx, les années suisses” du journaliste Patrick Testuz.

Le cannibale

Edouard, Baron, Merckx, Eddy Merckx, ou encore “le cannibale” dans le peloton. Il cumule :

  • 525 victoires sur route
  • 98 sur piste
  • 2 en cyclocross
  • 3 fois maillot arc-en-ciel
  • 5 fois vainqueur du tour de France, avec 34 victoires d’étape. Record égalé par Mark Cavendish, mais pas (encore?) battu
  • 5 fois vainqueur du Giro et 24 victoires d’étape
  • 1 fois vainqueur de la Vuelta et 6 victoires d’étape.
  • Il détient encore aujourd’hui le record de 11 victoires des grandes tours
  • 2 fois vainqueur du Tour des Flandres
  • 3 fois vainqueur de Paris-Roubaix
  • 5 fois vainqueur de Liège-Baston-Liège
  • 2 fois vaiunqueur du Tour de Lombardie
  • 3 fois vainqueur de la Flèche Wallonne
  • 7 fois vainqueur de Milan-San Remo
  • 1 fois vainqueur du Tour de Romandie.

Le palmarès est encore bien rempli, au point que la fameuse phrase du boucher “il m’en reste un bout, je vous le mets avec ?” colle parfaitement à la situation.

Dans le livre “Merckx, les années suisses”, la devise du cannibale “Se dépenser sans compter” y est raconté par bon nombre d’anecdotes et illustrée par de magnifique photo en noir et blanc, où le casque était inexistant, mais où la montre au poignet était un impératif du coureur.

Cet ouvrage nous entrouvre la porte de l’intimité du champion, on découvre (un peu) l’homme derrière la légende. On aime Eddy dans les premières pages pour sa sympathie, on change d’avis plus loin pour son égo dérangeant à coup de phrase tranchante telles que :

“Quand je refuse de pédaler pour les autres, la course devient une promenade”

Ou encore “puisqu’on ne m’accordait aucun équipier valable, je gagnais seul !”

Plus loin, on oublie notre rancœur et on compatit, quand il perd le Tour de Romandie de 1968 au chrono de Sierre à Super Crans pour 6 secondes seulement, juste pour un mauvais choix de développement. Ou encore quand il contracte la mononucléose en 1976, continuant de se battre dans le peloton tel un gladiateur.

Pour finir, son talent nous fait vibrer, comme la foule entassée de part et d’autre du Petit-Chêne lors de l’évènement “A travers Lausanne de 1973” quand il arrive en haut, arborant fièrement le maillot de la “Molteni-Campagnolo” avec derrière lui le grand “Poupou”.

Un homme qui se sent bien chez nous

Et derrière cette légende, on découvre un homme qui se sent bien chez nous. Un homme qui, malgré une douloureuse défaite à Crans-Montana, y passera de nombreuses vacances d’hiver à arpenter les pistes de ski de fond, ou encore de faire des sessions d’home trainer sur le balcon du Grand Hôtel du Golf: là où des photos de lui au côté de Kennedy, Delon ou encore Lino Ventura trôneront durant de nombreuses années.

Le livre parle beaucoup de la sueur laissée sur nos routes, un peu moins de l’humain. En plus de toutes ces anecdotes sportives et ces nombreuses victoires, on aimerait en savoir plus sur le rapport du personnage avec notre pays: ses habitudes, son restaurant favori, ou encore la boulangerie qu’il préférait pour y prendre une bonne viennoiserie et un café, comme bon nombre de cycliste comme nous qui sacralisons ces pauses durant nos sorties.

Néanmoins, cela reste un bel ouvrage qui mérite qu’on s’y attarde tellement le nom de Merckx est connu de tous les amoureux de la petite reine. La couverture du livre est belle, les photos nous plongent immédiatement dans cette époque des bras (et parfois des jambes) poilus avec, pour les plus anciens, beaucoup de nostalgie.

Petit bémol, je l’ai trouvé difficile à lire, avec des tournures de phrases complexes, un contraste entre les couleurs qui fatigue l’œil et surtout une mise en page avec des colonnes très serrées qui 4 mots plus tard font immédiatement faire un retour à la ligne aux lecteurs.

Cela ne gâche cependant pas le plaisir d’en avoir plus appris sportivement parlant sur le champion. Le livre reste magnifique, et trouvera parfaitement sa place sur une étagère des personnes habitées par la passion du cyclisme.

«Merckx, les années suisses», 70 pages, L’Album du Sport Éditions. Le livre peut être acheté en libraire chez Payot ou commandé directement auprès de l’auteur (25 francs + frais de port): patrick.testuz@bluewin.ch et lalbumdusport.ch

Lucas Stifani

Vallorbier de naissance (personne n’est parfait !), mais expatrié chez les « Dzo » depuis 2017, c’est de vacherin fribourgeois, de meringue double-crème et de tour des Paccots que Lucas se nourrit. Ancien mordu de skateboard, c’est à la suite d’une sévère blessure aux chevilles qu’il s’est tourné en 2014 vers le vélo de route, où il entretient un amour profond pour ce sport.

Vélotafeur toute l’année (Châtel-st-Denis à Lausanne), et cycliste passionné aux heures perdues, Lucas est animé par un cyclisme simple, sans chichi ni fioriture, un cyclisme où on remercie chaque jour la beauté de la nature et le bonheur que procure par sa monture. Mais surtout où même la bière la plus dégueulasse peut se transformer en breuvage divin quand celle-ci est méritée après une sortie de vélo authentique entouré des meilleurs copains.

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