SUCH 22 : Les hauts et les bas d’un ultra (1/3)

A la fois géniale et horrible, avec beaucoup de hauts mais quelques (très) bas, dans la joie et la douleur, au soleil et sous le déluge, de jour et de nuit, euphorique et abattu: ma première course d’ultra aura eu tout ce que je venais y chercher. Je suis passé par un éventail très large de sensations et d’émotions ainsi que leurs opposés, dans une fourchette temporelle très courte, le challenge étant de garder le cap dans cette houle tumultueuse, interne et externe.

Cela faisait longtemps que mon ami Xavier Massart et moi-même cherchions une course à faire en pair. La SUCH était le défi parfait pour les deux Belges voyageurs installés en Suisse. Rouler en duo signifie trouver le rythme qui convient à tous les deux, la vitesse et les pauses, ce qui n’est pas gagné d’avance vu le nombre d’heures au programme. Notre paire était, de ce point de vue, plutôt insolite. D’une part il y avait l’expérience des ultras et du manque de sommeil incarnée par Xavier, contrebalancée par une petite saison mais surtout le corps et la tête dans la nouvelle plus belle aventure de sa vie de jeune papa depuis un mois. De l’autre côté, il y avait le physique affuté sortant d’une saison bien remplie, incarné par Tom, en fin de récupération Embrunman (ironman avec dénivelé) et total rookie dans ce genre d’épreuve. Ces deux pôles étaient (et sont toujours) reliés par une solide amitié ayant traversé toutes sortes de péripéties aventureuses aux quatre coins du globe et le plaisir de rouler sur des vélos titane CURVE parfaitement conçus pour ce genre de balade.

Tout commence mercredi 7 septembre à 6h du matin dans la périphérie de Berne. Xavier arrive de Genève après une très courte nuit, si on peut encore appeler ça une nuit, entre préparation tardive du matos et réveils de sa petite. J’ai dormi dans mon van dans une forêt voisine en compagnie d’un moustique fort bruyant. Nous avons rendez-vous au P+RAIL de Bümpliz afin de prendre le train vers notre point de départ. Excité comme une puce, je savoure d’enfin me mettre en route, après ces semaines de planification, réflexions, préparations. Maintenant tout ce qu’il reste à faire, c’est le plus simple, tourner les pédales et enjoy the ride. Enfin pas tout à fait, il y a d’abord trois heures jusqu’à Hospental pendant lesquelles nous tentons vainement de grapiller quelques minutes de sommeil en plus.

Nous arrivons à 10h15, cinq minutes après le départ officiel de la course. L’idée de devoir se lever encore une heure plus tôt nous semblait moins intéressante que de démarrer avec un léger retard. Quelques derniers réglages et la photo sous l’horloge de circonstance plus tard, on se lance dans la courte ascension vers le Gothard et le Tessin. Je mets les bouchées doubles pour me retenir de partir comme une fusée comme à mon habitude, il vaut mieux garder du jus pour plus tard. Alors que nous sommes encore en train de monter, nous croisons une foule de participants déjà en train de redescendre, après avoir fait demi-tour de l’autre côté de la frontière Uri-Tessin. La première double émotion se manifeste. D’un côté la satisfaction de voir que la majorité a choisi de partir d’ici, prouvant que notre trace est probablement la plus stratégique, de l’autre la frustration de voir qu’on a déjà vraiment pris du retard.

Une fois le Tessin dans la besace, c’est parti pour la longue descente jusqu’au lac des Quatre Cantons qu’on longe jusqu’au ferry de Gersau, l’un des checkpoints. Les vues sont grandioses et la météo parfaite. Je lance dérisoirement à Xavier : “ca pourrait presque être cool de rater le ferry, histoire de profiter plus longtemps de la vue !” J’aurais dû me taire… On arrive quelques petites minutes trop tard, juste à temps pour voir le bateau filer vers l’autre rive, rempli de Suchistes plus que de voitures. On met l’heure d’attente à profit pour un gros lunch et une petite sieste au soleil, histoire de ne plus devoir s’arrêter avant longtemps.

Je ne peux m’empêcher d’être frustré que nos quelques minutes de retard se transforment en heure. Rien à voir avec le fait d’être distancés par les premiers, nous sommes dans une course avec la météo. Les prévisions pour la soirée et la nuit s’annoncent catastrophiques, avec des quantités innommables de pluie. La stratégie d’aujourd’hui était de foncer, de parcourir la plus grande distance avant de se faire rincer.

L’après-midi s’écoule avec des routes pas très glamour et beaucoup de trafic. Nidwald, Obwald, Lucerne, Zoug, Schwytz et Glarus défilent tandis qu’on sature de la circulation en pleines heures de pointe. Une petite section gravel autour de Zoug nous offre un répit bucolique avant de retrouver embouteillages et camions. On retourne sur les pistes cyclables en approchant du lac de Walenstadt tandis que le soleil se couche. On profite de la vue dans de superbes lumières tandis que les montagnes à l’horizon se couvrent d’une masse nuageuse peu avenante. On quitte le lac pour entrer dans notre première nuit et les averses éparses nous accueillent dès Sargans. On arrive vers 22H à Coire, miraculeusement encore au sec. Il faudrait commencer l’ascension de Lenzerheide mais c’est notre dernière chance de trouver à manger.

Après un arrêt d’une trentaine de minutes pour un fast-food peu gastronomique qui nous restera sur l’estomac, on se lance enfin dans la montée sous un faible crachin tandis que nous croisons les premiers qui finissent la redescente, secs, comme nous l’avions prévu aussi. Un kilomètre plus loin, c’est parti pour les joyeusetés. On enfile en vitesse nos tenues de pluie, il vaut mieux être mouillés de transpiration que détrempés de pluie. Pluie qui ne fait que s’intensifier et refroidir au fur et à mesure que nous nous rapprochons du sommet, qu’on finit par atteindre vers 1H du matin.

On se réfugie dans la cabane du télécabine, le temps de trouver où se trouve le poinçon du checkpoint, ce qui n’est pas gagné de nuit dans la tempête qui fait rage. La mauvaise nouvelle du jour, ou plutôt de la nuit, c’est que les affaires de Xavier ont percé et il grelotte. L’idée de ressortir sous le déluge pour une longue descente n’est pas très attrayante mais il n’y a pas d’autre choix. La route ressemble à un fleuve, on ne sait s’il pleut plus du ciel ou du sol. Ça flotte tellement que les 1500 lumens de nos phares ne servent presque à rien, bloqués par un mur d’eau. La situation est tellement absurde que j’en ris, c’est la meilleure chose à faire. Il est plus facile de garder le coeur léger quand on est plus ou moins sec et plein d’énergie, ce qui n’est pas le cas de mon coéquipier, mouillé et épuisé.

De retour à Coire, on déniche un Crédit Suisse où se réfugier et faire le point pour la suite. Un hall de banque c’est du luxe, sachant qu’on s’est déjà réfugié pendant vingt heures à deux dans une toilettes style portaloo dans le bush néo-zélandais. Xavier voudrait qu’on dorme là et attendre l’accalmie pour repartir mais la météo ne prévoit pas d’amélioration avant minimum 12h, on est dans l’épicentre des précipitations. Plus en forme et chaud que lui, je veux pousser dans la nuit, mouillés pour mouillés, histoire d’en finir avec la pluie le plus rapidement possible, dans 100 km environ si les prévisions ne sont pas trop fausses. Une petite heure plus tard, un gars louche et ivre décide de venir profiter de notre compagnie. Il s’installe pour dormir avec nous tandis que la pluie semble se calmer. Il ne nous en faut pas plus pour choisir de continuer à rouler.

La première heure est divine, au sec (ho miracle) avec un gros vent de dos. Malheureusement, quand nous dépassons Landquart, les intempéries font leur grand retour. Le vent tourne histoire de mieux nous fouetter le visage avec l’averse torrentielle. C’est parti pour un long calvaire nocturne. Je serre les dents et je pousse pour passer à travers cet obstacle météo mais Xavier s’endort et décroche. J’arrête de pédaler pour l’attendre, il me rattrape, j’essaye de discuter de tout et de rien pour le tenir éveillé mais la pluie et le vent instaurent rapidement le silence. Sans m’en rendre compte, je recommence à pousser, Xavier s’endort, décroche, et ainsi de suite pour un nombre incalculable de fois.

Vers 6h15, on atteint enfin le village qui marque la fin des berges du Rhin, le début de l’ascension vers Appenzell et potentiellement la fin de la pluie. On s’arrête, misérables, dans une station essence pour un café. Il n’y a aucun endroit pour s’installer et on se retrouve debout dehors, rincés, épuisés et achevé pour Xavier qui m’annonce qu’il veut s’arrêter là. Ce n’est ni le bon moment ni le bon endroit pour prendre ce genre de décision…

On trouve une boulangerie où s’installer aussi confortablement que nos habits mouillés le permettent afin de prendre une décision sereine. Dur dilemme entre, en tant que coéquipier, le motiver à continuer au-delà de la nuit dégoulinante et, en tant qu’ami, le soutenir dans l’option plus raisonnable vu son état de fatigue général et son rôle de jeune papa. Se mettre dans le rouge pour les prochaines 48h est tout sauf une bonne idée, on le sait tous les deux. Il y a beaucoup plus important dans la vie qu’une longue balade à vélo entre copains, même si ça fait longtemps qu’on en rêvait. D’un coup, tout va très vite. Il a un train dans 10 minutes. On a tout juste le temps de se donner une accolade émue et le voilà parti. Il ne reste donc plus que mon vélo Kevin, 700km, la pluie et moi.

Deuxième partie ici.

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Tom de Wilde

Ayant grandi en Belgique, le vélo à toujours fait partie de son quotidien. D’abord en single speed dans le trafic fou de Bruxelles ce n’est qu’en 2015 que Tom se met à proprement parler au vélo de route avec le triathlon. Après avoir vécu et voyagé en NZ et au Canada, Tom se lance en 2019 pour son premier trip gravel et bikepacking : une traversée nord-sud des amériques, off-road tant que possible et avec des sections de plusieurs centaines de kilomètres à pieds, pourquoi faire les choses à moitié ? Interrompu à mi-chemin au Guatemala par la pandémie, les surprises de la vie le mènent en Suisse où il partage son expérience et sa passion du vélo aventure/performance/utilitaire en travaillant chez Ciclissimo Chablais. Entre expéditions gravel, ironman de montagne, courses ultra distances bikepacking et vélotaf, son rêve est de trouver le graal du vélo qui fait tout parfaitement.