SUCH 22 : Les hauts et les bas d’un ultra (2/3)

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Parti en pair, me voilà solo, mouillé, debout depuis 26h et avec 350km dans les pattes. Devant moi la montée vers Appenzell puis la descente vers Gossau, une région que je connais bien étant la terre natale de ma moitié. Le terrain connu qui met en confiance, un petit mur et de la pluie froide, c’est tout ce qu’il me faut pour ne pas m’apitoyer sur mon sort mais directement ré-embarquer dans l’aventure à gros coups de détermination. Le départ de Xavier est un coup dur auquel je m’étais préparé vu son état de fatigue et son nouveau rôle de papa. Avant de se séparer, je lui ai avoué que je n’étais même pas sûr qu’il me rejoigne au départ… Ce fut un plaisir de pouvoir déjà partager ça.

Monter, c’est ma spécialité. Je lâche les rennes pour le plaisir et cravache sans compter les watts. Comme espéré, en haut de la bosse, le ciel bleu se dessine à l’horizon. Je roule encore une bonne heure sous le crachin et deux de plus dans le nuage des projections de mes roues avant d’enfin sentir la chaleur des rayons du soleil, faire tomber la tenue de pluie et sentir la fatigue qui sèche elle aussi. J’ai la patate, la bonne humeur et j’avance bien jusqu’à l’enclave de Schaffhouse, avant de me lancer dans la longue traversée jusqu’à Bâle. C’est parti pour de longues heures avec un gros vent de face et une route pas sexy plus énormément de trafic.

D’un coup, tout se réveille : la fatigue (appréciez le paradoxe) ainsi que les douleurs aux pieds, épaule gauche et fesses. Je segmente cette section en petits objectifs auxquels m’accrocher tandis qu’une douleur aiguë dans les pieds me force à une pause prématurée. Je trouve un kebab au soleil où recharger mes batteries physiques et électroniques tout en faisant sécher mon linge sur le vélo. Je tente une sieste mais ne parvient qu’à somnoler 10 minutes. Si je n’arrive pas à dormir, autant rouler.

Le vent, l’axe routier et les douleurs m’usent en profondeur. Je multiplie les courtes pauses qui, additionnées, me font perdre beaucoup de temps. Je ne vois pas le bout. Il n’y a qu’une chose à faire, avancer. Tout finit par arriver, et me voilà dans le centre de Bâle, prêt à bifurquer vers le Jura, laissant ce gros morceau derrière moi. Le paysage perd sa monotonie tandis que je longe la Birse vers Delémont avec un gros regain d’énergie. J’avance si bien qu’un mec en sortie du soir vient se planquer dans ma roue pour une vingtaine de kilomètres, sans un bonjour ou un merci, charmant.

J’arrive à Delémont avec le coucher de soleil, dans un état étrange : un savant mélange de douleurs absolues aux fesse, de fatigue extrême et d’excitation bourrée d’endorphines. Dit autrement, je suis complètement à la masse mais sur-excité en même temps, une situation dans laquelle la prise de décision est complexe et où rigueur est clé. Je m’arrête dans une station-service pour de rapides courses avant la nuit. J’y suis surpris par Vincent de l’orga pour une interview minute en plein dans le vif du sujet. Cette minute face caméra me pousse à prendre les choses encore plus à la légère que je ne le fais déjà.

La question qui me tourmente depuis une heure est de savoir si je vais m’arrêter cette nuit ou non. Incapable de décider, mon coéquipier qui m’accompagne et me soutient à distance depuis que nos routes se sont séparées prend le relais et me fait bénéficier de son expérience. Il faut que je me repose un peu et surtout que j’aère mes fesses irritées par l’humidité dans laquelle je baigne depuis des heures. Il me réserve une chambre à Saint Imier, 45km et un gros 1000m d’ascension plus loin.

Je file à plat dans les dernières lueurs du soir vers Glovelier où la fête commence. Face à mon ordi, je m’étais dit que tracer par ici serait incroyable et plus bucolique que de passer par Moutier. Maintenant que j’y suis, de nuit, dans le froid, avec mon mal au cul, 600km dans les jambes et un problème de phare, les pentes bien raides de Saulcy et du Mont-Tramelan me font beaucoup moins rêver, surtout que je me dépêche (plus que de raison) pour arriver à mon hôtel qui n’accepte normalement les check-in que jusque 22h, délais que je dépasserai certainement. J’y arrive complètement détruit et accueilli par un personnel tout sauf loquace et sympathique. Ils sont énervés de m’avoir attendu et que j’aie un vélo à stocker. Je n’ai pas la force pour discuter et file dans ma chambre vétuste qui aurait fait rougir un soviet de l’époque stalinienne. Il y a un lit et une douche, c’est tout ce qu’il me faut. Je voudrais juste m’effondrer mais j’ai encore tant de choses à faire : mettre l’électronique en charge, me doucher, rincer mon cuissard et le sécher avec le sèche-cheveux. Il faudrait que je mange mais l’épuisement m’empêche d’avaler quoi que ce soit. Ma tête va à toute vitesse, si je veux attraper la benne du Sanetsch dans 330km, je devrais dormir moins de deux heures. Je ne suis physiquement pas prêt à ne faire qu’une sieste et si j’ai payé un hôtel, c’est pour me reposer. Tant pis, demain est un autre jour, maintenant dodo et pas de réveil.

Un autre jour qui arrive 5h plus tard et qui révèle un corps en ruine. Du fond du lit, je me dis sérieusement que je vais arrêter là, ou bien juste dormir tout mon saoul et que je verrai à midi. Berne n’est qu’à un jet de pierre d’ici, pourquoi passer par Genève et le Valais avant ? Je suis trop court pour la dernière benne du Sanetsch aujourd’hui et j’ai beaucoup de marge pour la première de demain. Ou alors… Ou alors je fais comme les premiers et je descends à pieds. Dilemmes.

Après trente minutes à faire semblant de vouloir me rendormir, je saute du lit, me prépare en vitesse et me lance dans l’ascension piquante du Mont Soleil en me jurant qu’une fois en haut, j’abandonnerai, histoire de ne pas scratcher depuis mon lit mais depuis un checkpoint. La montée avec le corps refroidi et endolori est un calvaire mais les lueurs matinales et la réalisation qu’il a plu toute la nuit tandis que j’étais dans un lit me mettent du baume au cœur. Une fois au checkpoint mon corps est chaud, alors je me dis que je vais essayer d’un peu continuer. Me voilà relancé dans l’aventure.

Pour fêter ça, la météo m’a réservé quelques belles averses sur les crêtes jurassiennes, pluie qui sera chassée par le vent de face qui m’attend le long du lac de Neuchâtel. Je prends volontiers le vent plutôt que la pluie. L’énergie revient pour de bon avec le soleil illuminant les belles vues sur le plateau et le lac. Je suis régulier et respecte mes objectifs : pause café à Yverdon avant le rapide a/r à Yvonand et le canton de Fribourg puis pause lunch à Gland avant de checker Genève et le demi-tour tant attendu. Si j’ai subi le vent de face depuis Neuch, ça veut dire que je l’ai maintenant de dos jusque Conthey, et je vais en profiter. Musique à fond dans l’oreille droite, couché sur les prolongateurs, bouilonant d’énergie, de joie et de motivation, je passe en mode machine et appuie sur les pédales. Les kilomètres filent et j’avale les 100km jusqu’à Aigle en trois heures. J’y croise Vincent, un des habitués de la sortie gravel Ciclissimo Chablais du jeudi qui me suit et m’encourage depuis le début de la course et qui est venu à ma rencontre pour me saluer. J’en suis vraiment touché. C’est précieux de sentir l’effervescence de tous ceux qui me suivent quand je ne sais plus trop où aller chercher l’énergie nécessaire pour continuer. Mais pour l’instant, tout baigne.

J’envisage un instant de bifurquer ici et de monter vers le col du Pillon pour ensuite faire l’aller-retour au Sanetsch en hike-a-bike mais le vent de dos m’incite à continuer la vallée jusque Conthey et de ne garder la partie scabreuse que pour la descente, ce sera bien assez. La nuit s’installe amenant la fatigue tandis que le vent faiblit. Le rythme ralentit mais je garde une bonne allure sur les digues du Rhône. L’humeur est au beau fixe lorsque je me lance dans l’ascension du Sanetsch vers 21H45, revigoré par un appel avec ma compagne.

Je pensais réussir à tout raconter en deux articles, mais j’arrive au bout du second et il me reste un sacré paquet de péripéties devant moi, dont une montée et redescente épique du Sanetsch en trois parties ou les surprises s’enchaînent. Rendez-vous pour un troisième volet !

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Tom de Wilde

Ayant grandi en Belgique, le vélo à toujours fait partie de son quotidien. D’abord en single speed dans le trafic fou de Bruxelles ce n’est qu’en 2015 que Tom se met à proprement parler au vélo de route avec le triathlon. Après avoir vécu et voyagé en NZ et au Canada, Tom se lance en 2019 pour son premier trip gravel et bikepacking : une traversée nord-sud des amériques, off-road tant que possible et avec des sections de plusieurs centaines de kilomètres à pieds, pourquoi faire les choses à moitié ? Interrompu à mi-chemin au Guatemala par la pandémie, les surprises de la vie le mènent en Suisse où il partage son expérience et sa passion du vélo aventure/performance/utilitaire en travaillant chez Ciclissimo Chablais. Entre expéditions gravel, ironman de montagne, courses ultra distances bikepacking et vélotaf, son rêve est de trouver le graal du vélo qui fait tout parfaitement.