A la recherche du “type 2 fun”

TNR Honeymoon Assietta type 2

Dans ce deuxième article d’une série consacrée au combat de la tête et du corps contre le stress quotidien, Lillie parle du fait qu’on peut tous accomplir de grand défis à vélo si on est prêt à sortir de sa zone de confort. Cliquez ici pour le premier article, et ici pour le troisième. 

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Lorsque j’ai pris le départ du Torino-Nice Rally (TNR) avec mon mari Alain en septembre 2019, je n’avais qu’une jambe en état de marche et une habitude embarrassante de prendre des médicaments antidouleur. Lorsque nous avons terminé, 7 jours plus tard, mes deux jambes fonctionnaient et j’avais divisé par deux ma dose d’analgésiques.

Je ne sais pas vraiment combien de kilomètres j’ai parcourus. Je ne sais pas combien de mètres j’ai gravis. Je ne connais pas ma vitesse moyenne ni le nombre d’heures que j’ai réellement passées sur ma selle. Je n’ai jamais téléchargé mes traces GPS sur Strava. Parfois, je n’allumais même pas mon Garmin.

Quand j’ai commencé, je n’avais qu’un seul objectif : faire du vélo.

Prête à prendre le départ du TNR à Turin

Deux semaines avant le TNR, j’ai eu ma première crise majeure d’une maladie neuro-musculaire auto-immune (voir article 1). Je ne comprenais pas pourquoi cela se produisait, je me focalisais uniquement sur ma guérison et sur un petit espoir de pouvoir faire le TNR. Car ce n’était pas n’importe quel événement pour Alain et moi. C’était notre lune de miel tant attendue après… 4 ans et demi de mariage.

Alors oui, notre lune de miel idéale serait sans aucun doute remplie d’inconfort : du mauvais temps, des sections impraticables, de la faim de la soif, de longues journées, et beaucoup, beaucoup de montées. Pour certains, ce serait un cauchemar. Mais pour d’autres, comme nous, c’était un rêve devenu réalité. Nous nous étions entraînés pendant des mois. Nous avions planifié la garde de notre fils. Nous étions prêts à le faire !

En raison de ma maladie, je ne pouvais pas m’asseoir sur une chaise sans ressentir de fortes douleurs au niveau du nerf sciatique. Mais pour une raison que je ne pouvais pas comprendre à l’époque, je n’avais aucune douleur sur mon vélo. De plus, j’avais au moins une jambe, la droite, qui était très forte après des mois d’entraînement. Nous avons donc décidé de prendre le départ et de voir ce qui allait se passer. Parce que si je ne commençais pas, je n’aurais en tout cas aucune chance de finir.

La lune de miel a bien commencé : le premier jour s'achève avec un monstrueux col en gravel dans la nuit

Le Torino-Nice Rally fait partie d’un type d’événements cyclistes qui ont proliféré ces dernières années : l’ultra-distance sans assistance. Avec la popularité croissante de courses comme la Transcontinental Race, et avec la quasi-impossibilité d’y obtenir un dossard, de nouveaux événements sont organisés un peu partout.

En 2021, il existe des dizaines de courses de ce type, avec des distances et des terrains différents. Une excellente liste peut être trouvée ici. De nombreux membres de la communauté cycliste.ch ont participé à ces courses et je ne vois pas la tendance se ralentir de sitôt.

Mais qui participe à une course d’ultra ? Est-ce seulement pour les personnes en ultra-forme ?

Des cyclistes ordinaires sur la ligne de départ

Étonnamment, la plupart des personnes qui participent à ces courses sont juste des cyclistes de tous bords qui veulent simplement rouler, repousser leurs limites et goûter à l’aventure. Ils ne sont pas là pour gagner, mais pour finir. Jeunes et vieux, hommes et femmes, grands et petits, au guidon de vélos de course tout carbone ou de fidèles montures d’acier. Certains campent dans des abribus, d’autres dorment dans des hôtels. Ces courses sont vraiment ouvertes à tout le monde. Nous y avons tous notre place.

Mais pourquoi s’inscrire à une telle course ? Pourquoi se mettrait-on dans une position où l’on est assuré d’être sacrément inconfortable pendant de longues périodes ? C’est comme si on était tous prêts à accepter un peu de plaisir de type 2 et parfois même de type 3 pour le but ultime de vivre quelque chose d’extraordinaire. Bien sûr, on peut se souvenir d’une très belle journée à ski dans la poudreuse remplie de plaisir de type 1. Mais il est encore plus probable que les souvenirs qu’on garde et qu’on aime le plus viennent des fois où on a vécu quelque chose où, à ce moment-là, on était vraiment misérable (si vous ne connaissez pas encore les 3 types de plaisir, cliquez ici).

Au delà de mes capacités à rester sur mon vélo

J’avais l’espoir d’arriver jusqu’à Nice. Mais si je ne pouvais pas, pas de problème. Je pourrais toujours rouler jusqu’à la gare la plus proche et passer quelques jours à siroter du Pastis sur la plage en attendant qu’Alain ait fini. Je ne roulais pas pour gagner du temps, je roulais pour m’amuser. Je roulais pour l’aventure. Je roulais parce que j’avais une semaine seule avec mon mari pour la première fois depuis la naissance de notre fils. J’étais avec l’amour de ma vie à faire ce que nous aimons faire. La douleur n’allait pas m’empêcher de vivre ce moment.

Alain et moi n’avons jamais été seuls lors de notre pèlerinage en haute montagne vers Nice. Bien sûr, le premier arrivé à Nice était là avant que nous ayons pu atteindre notre hôtel dans la descente du Col d’Agnel le troisième soir. Mais cela n’avait pas d’importance. L’esprit de camaraderie entre les participants dans des endroits magnifiques, le fait de vivre les mêmes plaisirs et les mêmes peines avec des personnages formidables est une expérience que nous n’oublierons jamais.

Le paysage extraordinaire de l'Altiplano della Gardetta

Au cours du rallye, j’ai certainement eu des moments où j’ai douté de moi. J’ai pleuré, j’ai crié, et j’ai ressenti beaucoup de frustration et de colère dues à la douleur. Mais d’une manière ou d’une autre, j’ai continué, un coup de pédale à la fois. Peut-être suis-je simplement une masochiste… amoureuse de la souffrance. En tout cas, j’accepte l’inconfort, les difficultés, et l’imprévu comme une composante nécessaire de tout défi digne de ce nom dans la vie.

Mais, je crois que la raison qui me pousse à faire ce genre de chose est encore plus simple. Peut-être que c’est la même chose pour tout le monde. Quand je dépasse les limites de mon confort, mon subconscient prend les rênes pour me maintenir en vie. Je ne pense à rien d’autre qu’au présent. Ma conscience qui, normalement, va dans toutes les sens, est enfin silencieuse. Je suis concentrée sur ma respiration, sur mon corps, sur ce qui me permet de vivre. Je suis dans la méditation. C’est le paix dont j’ai besoin dans ma tête et que j’ai de la peine à trouver. Le sport m’offre cette paix.

Je ne suis certainement pas la seule à avoir cet état d’esprit. Pourquoi les cyclistes s’inscriraient-ils à des épreuves toujours plus longues et plus difficiles que jamais s’ils n’aimaient pas le concept de la souffrance, ne serait-ce qu’un peu ? On fait de l’Everesting. On traverse les continents. On se réveille avant l’aube juste pour glisser une petite sortie dans nos vies chargées.

Oui, nous, les cyclistes, acceptons la souffrance. Nous cherchons nos limites à chaque opportunité. Peut-être que la source de ce désir vient de notre subconscient, pour nous rendre plus sains d’esprit ? Pour calmer nos têtes qui sont de plus en plus stressés dans notre société ? Avec nos gros cerveaux, nous pouvons faire des choses incroyables, mais nos instincts, nos émotions, nos corps sont oubliés. La recherche du plaisir de type 2 est-elle un appel de notre corps à faire taire notre voix intérieure juste une minute pour apprécier la vie ?

Franchement, je ne pense pas que je trouverai un jour une vraie réponse. Tout ce que je sais, c’est ce dont je suis capable. Je sais que je suis douée pour résoudre des problèmes, et je trouverai toujours un moyen d’atteindre mon objectif. Si je décide d’aller à Nice, alors j’irai à Nice quoi qu’il arrive.

Vidéo: notre aventure sur le TNR (en anglais)

Après avoir terminé le TNR contre toute attente, j’ai décidé de tenter à nouveau un truc comme ça. Au cours de mes 18 mois de convalescence, j’ai appris par l’expérience, les preuves scientifiques (dont je parlerai dans un prochain article) et le soutien de mes médecins que le mouvement est effectivement la clé de mon rétablissement complet. Mais j’avais besoin d’un objectif pour continuer à avancer malgré les mauvais jours.

Le destin a voulu que, alors que je créais le calendrier des manifestations 2021 de cycliste.ch, je reçoive un e-mail de mon bon ami Chris White, une légende locale dans la communauté des courses du bikepacking ultra-distance sans assistance. Il m’a écrit pour me parler d’un nouvel événement qui pourrait être intéressant pour le calendrier. Il est organisé dans l’est de la Suisse, avec “seulement” 500km et 8000m d’ascension. Un calcul mental rapide m’a prouvé que même à un rythme ridiculement lent de 15km/h, il peut facilement être fait en 3 jours. Cela semblait PARFAIT.

C’est donc à 20h et 1 seconde, un samedi soir, alors que j’étais à table avec des amis proches, que je me suis connectée sur le site de Dead Ends and Cake et que je me suis inscrite. J’étais gênée d’avoir enfreint ma règle de “pas d’écran” pendant le souper, mais c’est une bonne chose que je l’aie fait. La course a affiché complet en une minute pour les hommes et en quatre minutes pour les femmes. Voilà d’ailleurs la preuve qu’il y a beaucoup de gens qui sont à la recherche de “type 2 fun”.

Yay! Je vais pouvoir faire du vélo dans le pays de Heidi, dans des endroits que je rêve d’explorer depuis des années. Et manger du gâteau ! La petite fille heureuse en moi a crié de joie quand ma candidature a été retenue.

Dans les prochains articles, j’expliquerai comment une athlète moyenne sujette aux blessures comme moi peut se préparer à une telle course, je parlerai des luttes physiques et émotionnelles qui se cachent derrière la maladie mentale et je tenterai de comprendre comment le cerveau humain est capable de créer et aussi d’éliminer la douleur. Stay tuned, comme on dit dans mon pays natal.

Lillie Rumpf – Cycling Heidi

Lorsque Lillie est arrivée de la Californie du Sud en Suisse romande en 2008, elle a vécu un choc culturel. L’époque des sorties “fun” était révolue. Les Suisses prenaient leur sport au sérieux. Bien trop au sérieux. Sentant que cette attitude n’était pas de nature à encourager les débutants dans le monde du vélo, elle a décidé d’apporter un peu de fun californien. Elle a guidé pendant de nombreuses saisons la sortie “sociale” de The Bike à Lausanne (avant la naissance de son fils) et elle continue à organiser des sorties occasionnelles le week-end pour les femmes et les débutants dans la région lausannoise et les Alpes vaudoises où elle habite. Ses balades comprennent toujours des activités d’aventure, de formation et, bien sûr, des « burgers and beer ». Elle s’occupe également du contenu sur cycliste.ch et vous pouvez retrouvez tous ses articles ici. Contactez-la à lillie@cycliste.ch si vous souhaitez participer à ses aventures à vélo!