Voyage virtuel en Moldavie

Moldavie

Voyager sur Internet, c’est facile. En quelques clics, on se retrouve transporté à l’autre bout du monde, on surfe sur les cultures, on fait défiler les paysages d’un coup de pouce sur son écran. Il y a quelques temps, alors que je devais finir un article urgent et que mon sens de la productivité légendaire m’avait dicté de me balader sur le web sans trop savoir ce que j’y faisais, j’ai atterri en Moldavie. Plus précisément sur un site à l’accroche prometteuse: “Cycling Tours Moldavie – plaisir et expérience”.

C’était bien assez pour faire passer ma priorité du jour au second plan et je me suis mis à visiter méthodiquement les pages du site, à défaut du pays lui-même. Je me suis tout d’abord remémoré que la Moldavie, loin de sortir des aventures de Tintin, est une ancienne république soviétique à la superficie semblable à celle de la Suisse. J’ai ensuite appris que la langue moldave est très proche du roumain et que le pays est connu pour son histoire religieuse très riche ainsi que ses vins.

Mais ce qui m’a définitivement fait oublier l’urgence de mon article, c’est Andrei Tchmil. L’ancien champion des années 1990 et 2000 produit des vélos à son nom en Moldavie et collabore à l’organisation des tours à vélo dans le pays. Je me suis souvenu de ses victoires, parmi lesquelles un Paris-Roubaix de légende dans la boue en 1994, un Milan-Sanremo à la barbe des sprinters en 1999 et le Tour des Flandres en 2000.

De plus, j’ai côtoyé Andrei lorsque je travaillais à l’UCI. Un temps représentant des coureurs dans une commission, il a ensuite dirigé l’équipe russe Katusha avant de se faire éjecter par des manoeuvres de couloir (on murmure qu’un oligarque n’y serait pas étranger) et de revenir en candidat malheureux à la présidence de la fédération internationale. Nous n’étions, et de loin, pas toujours du même côté de la barrière mais je me suis toujours bien entendu avec cet homme affable au regard tantôt perçant, tantôt rieur.

Lorsque nous nous rencontrions, il ne manquait jamais de rappeler une anecdote: lors du championnat du monde 2000 à Plouay en Bretagne, il s’était fait rattraper tout près du but et s’était fait souffler le maillot arc-en-ciel par le Letton Vainsteins. Or, c’est moi qui avait approuvé l’emplacement exact de la ligne d’arrivée lors d’une visite d’inspection quelques mois plus tôt. “Si tu avais placé la ligne moins loin, c’est moi qui aurais gagné. C’est de ta faute!” me lançait-il. On en riait, mais je ne sais toujours pas s’il m’en voulait véritablement ou non.

Andrei Tchmil
Andrei Tchmil, vainqueur de Milan-Sanremo en 1999

Avec l’UCI, nous avions aussi été aux prises avec Tchmil au sujet de sa nationalité. Après sa naissance à Khabarovsk en Sibérie, sa famille s’est ensuite établie en Ukraine durant la période soviétique. Au début de sa carrière cycliste, il s’est basé dans ce qui est aujourd’hui la Moldavie avant d’être l’un des premiers coureurs de l’est à avoir la permission de passer professionnel dans l’équipe italienne Alfa Lum en 1989.

Suite à l’effondrement de l’Union Soviétique, il a changé plusieurs fois de nationalité. Il a tout d’abord eu un passeport russe, puis ukrainien avant d’acquérir la citoyenneté belge car le Plat Pays était devenu sa patrie durant sa carrière pro. Il est ensuite devenu moldave, et a même été nommé ministre des sports de ce pays en 2007 avant de devenir président de la fédération cycliste nationale.

Andrei Tchmil a été un cauchemar bureaucratique, car les règlements et les administrations ont horreur du flou et du changement. Mais, à travers son parcours personnel, c’est aussi l’histoire extraordinairement compliquée d’une région qui s’exprime. Et, bien sûr, l’actualité brûlante qui bouscule aujourd’hui nos vies.

J’ai parlé avec Michel Savary, le promoteur du voyage à vélo en Moldavie à la source de ces réflexions. Homme d’expérience (membre de l’équipe suisse sur piste, du comité directeur de Swiss Cycling, organisateur d’autres voyages avec le TCS et divers tour opérateurs), il s’enthousiasme: “la Moldavie, c’est un pays vallonné idéal pour faire du vélo. A côté, il y a plein de choses à faire, en commençant pas la découverte des vins locaux”. A cette évocation, je me vois rouler sur des routes de la campagne moldave en compagnie d’Andrei, qui partage des anecdotes croustillantes sur sa carrière avec un groupe de cyclistes conquis.

Malheureusement, des zones d’ombre assombrissent aujourd’hui ce tableau séduisant. Au début de la guerre en Ukraine voisine, des nouvelles inquiétantes sont arrivées à propos d’Andrei Tchmil. Il aurait confié qu’il avait mis sa femme et leur fils à l’abri en Roumanie et qu’il se préparait à défendre son usine de vélos en cas d’attaque. Andrei a ensuite démenti sur son compte Facebook. Où est la vérité? D’où je suis, je suis incapable de le savoir. Pendant que les projectiles pleuvent sur le peuple ukrainien, nous sommes bombardés par des informations divergentes au quotidien. La guerre, c’est aussi la propagande de tous côtés.

Michel Savary, lui, se veut rassurant. La Moldavie n’est pas en guerre et, rappelle-t-il, “on faisait du vélo à Cesenatico au bord de l’Adriatique quand les jets de l’OTAN passaient sur nos têtes pour intervenir dans les Balkans”. La comparaison donne certes à réfléchir, mais je ne sais pas si elle suffira à rassurer. J’espère seulement que les voyages à vélo en Moldavie pourront avoir lieu, tôt ou tard. Que les cyclistes pourront découvrir les belles route de ces pays, sa culture et ses vins.

Michel Savary
Michel Savary, le Suisse qui veut partager sa passion pour la Moldavie

Je l’espère pour Andrei, pour Michel et pour tous ceux qui sont touchés de près ou de loin par les atrocités qui se déroulent actuellement.

Pour découvrir la Moldavie à vélo avec Michel et Andrei: www.cycling-tours-moldova.ch/.

Et pour contribuer à l’aide humanitaire en Ukraine, (re)lisez cet article sur le challenge rideFAR et la collecte de dons organisée par Nils Correvon et cycliste.ch

Alain Rumpf

Alain Rumpf

Cycliste passionné depuis plus de 35 ans, Alain Rumpf est bien connu sur les réseaux sociaux grâce à son compte « A Swiss with a Pulse » qui compte plus de 13’000 followers.

Dans une précédente vie, il a été coureur cycliste Elite et a travaillé 20 ans pour l’Union Cycliste Internationale. En 2014, il décide de quitter le confort d’un bureau pour devenir guide, photographe, rédacteur et consultant. Il collabore avec Suisse Tourisme, Haute Route, Scott, Apidura, Alpes Vaudoises, komoot, Vélo Magazine et bien d’autres. Il dirige le site Switchback, un guide du vélo de route et du gravel dans les Alpes et au-delà. Découvrez ses projets sur son site www.aswisswithapulse.com et tous ses articles sur cycliste.ch.